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Les chevaliers du royaume

Les chevaliers du royaume

Titel: Les chevaliers du royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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dans sa gueule une main, grogna en direction de Morgennes, qui ne broncha pas. Il ne voulait surtout pas lui donner l’impression d’être venu disputer son repas. La hyène le laissa tranquille.
    Un animal fit un brusque écart et le regarda, les yeux humides, la langue pendante. Ce n’était pas un charognard : il avait le poil plus long, jaune, presque roux. C’était une petite chienne, tenant à la fois du goupil et de l’épagneul. Les chacals et les hyènes la repoussaient, menaçant de la mordre chaque fois qu’elle approchait d’un mort. Morgennes l’observa. Elle était si maigre qu’on lui voyait les côtes. Elle avait le poil roussi par endroits, et ses pattes portaient des traces de brûlures. Elle avait dû appartenir à l’un des soldats de l’armée franque, tombé sur le champ de bataille. Morgennes considéra les corps mis en pièces. L’un d’eux avait-il été son maître ?
    Comme il faisait mine de reprendre son chemin, d’un geste, il l’invita à venir. Elle jappa de bonheur, et le suivit. La chienne sur les talons, Morgennes atteignit le campement sarrasin. Çà et là, des feux brûlant sous des marmites suspendues trouaient la nuit noire, où Morgennes se fondait. La chienne était dans tous ses états. Elle courut vers un chaudron, d’où montait une odeur délicieuse, et fut accueillie par des cris enthousiastes. Les Mahométans lui jetèrent des restes de brochettes, la menaçant pour rire d’en faire un méchoui si elle ne les finissait pas. La petite chienne dévora joyeusement ce qu’on lui jetait dans la poussière. Un adolescent la couvrit de caresses, et l’appela « ma petite, mon amie ». Puis il regarda autour de lui, de peur qu’on vînt la réclamer. Mais un vieillard à la bouche pleine de chicots noirs lui cria – en brandissant une brindille au bout incandescent :
    — Tu peux la garder, elle est à toi maintenant. Ce sont les chiens qui choisissent leur maître, pas l’inverse !
    L’adolescent eut un sourire radieux. Le vieux s’amusa à souffler sur la braise de son bout de bois, et ajouta :
    — Tu auras bien le temps de la rendre, quand on viendra la chercher… Tu pourras même demander quelques dinars, pour t’en être si bien occupé…
    — En attendant, il faut lui trouver un nom, conclut l’adolescent.
    Dans l’ombre, Morgennes avait suivi cette scène. « Ingrate », pensa-t-il. Puis il repartit, avide de trouver de quoi se désaltérer : partout où il portait son regard, on buvait. De l’eau, du thé, du lait, des jus de fruits, et même de l’alcool. Certains soldats, encore vêtus de leur gambeson de toile matelassée, engloutissaient de grandes rasades de vin parfumé, dont ils s’enivraient. On leur disait :
    — Ne buvez pas d’alcool, c’est interdit.
    Ils répondaient :
    — C’est de l’alcool ? On ne savait pas, c’était aux Franjis (la malédiction soit sur eux !)…
    — Les Franjis n’avaient plus rien à boire ! répliquait-on.
    Les autres s’esclaffaient, et continuaient de se soûler.
    De partout on criait, on appelait. Des soldats transportant des fagots s’asseyaient dessus pour disputer d’interminables parties de az-zahr. Ceux qui avaient trop mangé s’enroulaient dans une natte et se laissaient tomber à terre, ivres de nourriture.
    Morgennes s’éloignait discrètement vers un coin plus tranquille, lorsqu’un cri attira son attention. Il se tapit derrière un tonnelet de poissons frais dont l’odeur l’écœura, et risqua un coup d’œil. Deux hommes avaient tiré leur couteau en s’insultant. La raison de leur querelle était imprécise, mais elle avait apparemment trait à la couleur des drapeaux mahométans. Ils se lançaient des regards cruels et se traitaient, l’un de païen, l’autre de polythéiste. Leurs armes jetaient des éclairs. Le païen tenta de mordre le polythéiste en poussant d’abominables cris de hyène.
    Morgennes comprit alors dans quelle parti du camp de Saladin le sort l’avait conduit : il était dans la plus terrible des tribus ralliées à Saladin, celle des Maraykhât – qui étaient aux hommes ce que les charognards sont aux chiens. Ils ne prenaient jamais vraiment parti lors des combats, mais attendaient de voir à qui allait la victoire… Après quoi, ils pillaient les vaincus. Saladin, faisant toujours camper son armée en ordre de marche, leur avait ordonné de planter leurs tentes à l’arrière.
    Morgennes aurait pu s’en

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