Les chevaliers du royaume
messagers, ajouta Di Morra. Ils ont affaire à tout le monde, chrétiens, Sarrasins, Juifs, d’Orient ou d’Occident, militaires, religieux, diplomates, marchands, banquiers, rois, manants… Nous sommes au sommet et en bas de l’échelle. Pas un murmure ne nous échappe. Pas un bruit.
Di Morra avait fini de parler quand Josias atteignit une petite porte dissimulée dans une encoignure. Le moine l’ouvrit et invita Josias à le précéder dans un escalier en colimaçon. Ils devaient être dans l’une des deux tours à l’entrée du château. Un vent coulis provenant des étages supérieurs courut au ras du sol, et remonta sous la robe de Josias, qui fut pris d’un frisson. C’était pourtant l’été, mais l’épaisseur des murs tenait la chaleur à l’écart.
— Quand vous serez en présence de Sa Sainteté, poursuivit Di Morra, ne vous adressez pas à elle directement. Parlez à l’évêque de Préneste, qui lui transmettra vos paroles. Sa Sainteté est extrêmement lasse, et, si son corps est ici bas, je crains que son âme ne soit déjà auprès de Dieu…
Après une nouvelle enfilade de salles, Di Morra s’arrêta devant une double porte aux armes de la papauté – de gueules à deux clefs d’argent passées en sautoir. Il empoigna le heurtoir d’argent en forme de marteau, et frappa trois coups légers. Deux valets vêtus de noir, et qui restèrent dans l’ombre, ouvrirent les portes sur une grande salle plongée dans des ténèbres que parvenaient à peine à dissiper quelques chandelles de suif. Des formes vagues se distinguaient dans la pièce – en robes rouges ou noires, elles parlaient à voix basse dans l’obscurité : c’étaient des membres de la curie qui avaient fait le voyage jusqu’à Ferrare.
Au fond de la pièce une estrade permettait d’accéder à un lit immense. Quelqu’un s’y trouvait couché. À ses côtés, vêtu de noir et tenant dans sa main un rouleau de parchemin, un homme à la figure de rat susurrait quelques paroles à l’oreille du pape.
— Approchez ! fit l’homme en noir en voyant Josias et Di Morra entrer.
Ils s’avancèrent au milieu des murmures, des bruissements de robes et des regards inquisiteurs. Josias focalisa son esprit sur ce qu’il avait sous les yeux : un moribond alité – le pape. Il était frappé par le contraste qui existait entre cet endroit et le faste qu’il avait imaginé trouver au Vatican. Au-dessus du lit était cloué un simple crucifix de bois, ainsi que deux peintures, l’une représentant L’Arrivée au mont Soracte des envoyés de Constantin, l’autre Noé recevant de Dieu l’ordre de construire l’arche. Le sol était carrelé de rouge et de brun se répétant jusqu’au plafond, orné de moulures géométriques. Le reste du mobilier se fondait dans l’ombre, mais Josias devina un grand bureau de chêne qui servait d’écritoire, plusieurs armoires, un lutrin où reposait un ouvrage, sans doute une Bible, et quelques chaises à dossier de cuir rouge. Près du lit se trouvait une console où étaient posés deux verres à pied torsadé, une carafe de vin et quelques galettes de froment – qui paraissaient orientales, sans que Josias pût dire pourquoi. En somme, cette pièce était à l’image du reste du château : sans luxe ostentatoire.
On était loin de la profusion de splendeurs qui régnait à l’intérieur de certains palais orientaux ; si loin d’ailleurs que tout ici sentait la mort – peut-être parce qu’il y avait effectivement un mourant. Josias comprit alors que la tristesse qu’il avait ressentie en arrivant à Ferrare, le voile qui obscurcissait la ville, trouvaient leur source ici, dans cette pièce, et plus précisément dans le regard absent de la personne que Di Morra lui présentait :
— Sa Sainteté le pape Urbain III, dit le moine en s’agenouillant devant le Vicaire de Pierre. (Puis, se relevant et baisant la main de l’homme qui leur avait commandé d’approcher :) Monseigneur l’évêque de Préneste, le camérier de Sa Sainteté, Son Excellence Paolo Scolari.
Pendant que Di Morra finissait les présentations, Josias alla baiser la main du pape, qui lui parut étrangement chaude, puis salua respectueusement l’évêque de Préneste, dont par contraste il trouva la main étonnamment froide.
— Vous voici donc, dit Urbain III d’une voix chevrotante. Celui dont le fameux Guillaume de Tyr – paix à son âme – nous disait tant de bien. Nous nous
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