Les chevaliers du royaume
du jeune Henri VI : le fils de Barberousse marchait déjà sur les traces de son père et ravageait les États de l’Église. Ces affaires compliquaient considérablement le pontificat d’Urbain III, cent soixante-douzième Successeur de Pierre, et pape actuel.
Ce fut donc à Ferrare que Josias alla le trouver.
De même qu’en matière de vitraux les plus beaux bleus s’obtiennent en ajoutant de l’urine et du vin à l’oxyde de cobalt, le ciel de Ferrare recélait un je-ne-sais-quoi de malsain. Depuis que saint Bernard et les Cisterciens avaient banni de leurs églises couleurs et figures animales ou humaines, deux écoles s’opposaient. Chez l’une, défendue par Suger et Maurice de Sully, la représentation de personnages et l’utilisation des plus belles couleurs, des bleus, des rouges, des verts et des jaunes, étaient encouragées ; tandis que, chez l’autre, les verres se devaient de rester incolores, et les motifs, géométriques ou végétaux. Il s’agissait d’une esthétique austère, où rien ne devait détourner l’homme de la contemplation de Dieu.
À Ferrare, le ciel appartenait à la première des écoles, mais paraissait avoir été exécuté, à contrecœur, par un tenant de la seconde. Ainsi, alors que les couleurs éclataient, et que les roses du couchant se mêlaient au saphir des cieux, une sorte de grisaille jetée sur l’ensemble lui donnait un aspect mystérieux. Josias n’aurait su dire exactement pourquoi, mais il se sentait gagné par la mélancolie.
Le château, en fait une abbaye fortifiée, était dressé au sommet d’un mamelon, environné de maisonnettes à tuiles orange et d’abricotiers ployant sous les fruits. Çà et là, des vols d’étourneaux peuplaient l’espace de leurs cris, dont les toits et les murs se renvoyaient les échos. D’épaisses murailles, cernées par les eaux vertes d’une douve où nageaient des canards, se déployaient de part et d’autre d’une double porte bardée de métal. Deux petites tours (des sortes de beffrois) et une courtine sertie de créneaux en défendaient l’accès.
Quand Josias et son escorte approchèrent de la lourde porte d’entrée, un moine donna l’ordre qu’on les laissât passer, puis ouvrit les bras en signe de bienvenue. Josias n’eut pas le temps de se présenter, que déjà le moine lui dit :
— Je sais qui vous êtes. Des Pisans nous ont informés de votre venue et des malheurs qui se sont abattus sur la Terre sainte. Ces terribles événements ont grandement affecté Sa Sainteté, mais elle aura plaisir à vous recevoir, malgré sa fatigue…
Des serviteurs vêtus de noir menèrent les chevaux aux écuries et invitèrent les hommes de Josias à venir aux cuisines, afin de s’y restaurer. Quant à Josias, il fut conduit par le moine qui l’avait accueilli dans une longue enfilade de salles aux volets clos et aux parois ornées de tapisseries à caractère religieux.
Josias profita de ce que le moine s’était emparé d’une lampe à huile pour mieux l’étudier : il avait dans les quarante ans, et sa mine était grave. Seuls ses yeux, où brillait la lueur froide d’une intelligence habituée à naviguer entre les territoires naturellement opposés de la Terre et des cieux, animaient une face dont les devoirs avaient figé les traits. Du reste, son visage s’harmonisait avec sa personne : grande et droite comme un cyprès, la peau parcheminée.
En fait, sous un aspect assez peu sympathique se cachait quelqu’un de fiable et de grande qualité, doté d’une écoute amicale.
Ce moine appartenait à l’ordre des Bénédictins et s’appelait Alberto di Morra. Il occupait la charge de secrétaire du pape. Il confia à Josias :
— On croit qu’à Ferrare les papes sont moins puissants qu’à Rome. Il n’en est rien : ils le sont tout autant, et peut-être même davantage. Les nouvelles vont beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine. Nous en recevons tous les jours : elles viennent de visiteurs, d’ambassadeurs, de marchands, ou de rapports qui nous arrivent de telle ou telle paroisse. On ne peut rien nous cacher. Ce que l’Église veut savoir, elle finit toujours par le découvrir.
Cela avait été dit comme une évidence, mais en baissant la voix – car bien des informations étaient recueillies sous le sceau de la confession, mais il ne fallait jamais mentionner ce fait.
— En outre, les moines guerriers du Temple et de l’Hôpital font de formidables
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