Les chevaliers du royaume
causant la mort de plusieurs des siens.
On parlait de trahison et d’entente secrète avec Saladin. Comment se faisait-il que Ridefort n’ait pas été, lui aussi, décapité à Hattin, ou crucifié comme son comparse, Renaud de Châtillon ? Des rumeurs le disaient en compagnie de Sarrasins vêtus comme des Templiers, ordonnant la reddition aux chevaliers du Temple qui continuaient de résister.
Bon nombre l’avaient écouté et l’avaient payé de leur vie.
Cependant, Ridefort ne s’arrêtait pas, et chevauchait de château en château, ses Templiers du diable avec lui, et même, disait-on, la Vraie Croix. Elle était la clé des places fortes du Temple. Quand la voix de Ridefort ne suffisait pas, un Templier venait à cheval sous les murailles de la forteresse rebelle, et brandissait majestueusement le Saint Bois à la vue des assiégés. Alors Ridefort s’écriait : « Qui êtes-vous pour ne pas obéir au maître de votre ordre et à celui de votre vie, Jésus-Christ ? »
Le plus souvent, les garnisons se rendaient en voyant la Vraie Croix.
Les rares Templiers qui osaient s’opposer à Ridefort, et donc au Christ, mouraient les armes à la main. Ou bien, s’ils se rendaient, les Sarrasins les clouaient tête en bas sur une croix pour prolonger leur agonie.
Le Temple n’avait plus de véritable maître, et à Paris les débats faisaient rage : fallait-il ou non en élire un nouveau, ou attendre que Saladin leur rendît Ridefort ? Et en échange de quoi, la règle de l’ordre interdisant de donner autre chose que la ceinture et le couteau d’arme d’un chevalier pour sa rançon ? On s’opposait sur chaque point, et la maison des Templiers menaçait d’imploser.
En Terre sainte, seules deux personnes semblaient à même de prendre, momentanément, les rênes de l’ordre : le frère sénéchal du Temple, Onfroi de Thiérache, qui avait réussi à quitter Hattin sain et sauf, et le patriarche de Jérusalem, Héraclius, qui n’y était pas allé. Ce dernier, bien que n’étant pas Templier lui-même, jouissait auprès des membres de l’ordre d’une influence considérable – et pernicieuse, disaient certains.
En fait, on s’orientait plutôt vers une autre solution. À Paris, on parlait de proposer un Anglais au prochain chapitre du Temple, afin de se concilier les bonnes grâces d’Henri Plantagenêt, qu’on cherchait à convaincre de se croiser.
C’est pourquoi, connaissant les difficultés traversées par le Temple et les craignant plus que les Assassins, frère Gauvain, qui commandait la caravane convoyant les deux cent mille besants d’or, avait donné l’ordre de passer par le nord.
Il avait raisonné à peu près de la même manière que frère Emmanuel.
En d’autres circonstances, l’idée eût été bonne. En fait, nord ou sud, ils étaient condamnés. Dès le déchargement des navires, à Tripoli, un espion à la solde du Temple les avait suivis et ne les avait plus quittés. Par pigeon voyageur, il avait renseigné ses maîtres sur les mouvements de la caravane et sur la taille de son escorte, soit une cinquantaine de cavaliers, dont cinq frères chevaliers, dix frères sergents portant le manteau noir à la croix rouge, et trente-cinq auxiliaires – cavaliers et archers.
Après avoir envoyé son message, l’espion avait donné deux violents coups de talon dans les flancs de sa jument et filé dans la direction du djebel Ansariya, droit vers la forteresse d’El Khef – fief des Assassins.
À l’heure où il disparaissait derrière la montagne, la brume ne s’était pas encore levée. La petite caravane d’Hospitaliers courait vers son destin et ne le savait pas.
Pourtant, l’inquiétude était grande.
Les hommes, superstitieux comme le sont les guerriers, s’ingéniaient à voir dans les manifestations de la nature des signes de leur perdition future. Ainsi, parce que de fins jets de vapeurs jaillissaient par endroits du sol et emplissaient l’air d’odeurs soufrées, ils se signaient en tremblant et murmuraient entre eux : « C’est l’enfer qui soupire… »
Ils se regroupaient alors autour du gonfanon de leur ordre, tendaient l’oreille, regardaient de tous côtés et cherchaient à prévenir la venue d’un danger qu’ils sentaient imminent Aussi cheminaient-ils, la lance sur la cuisse, l’écu sur la poitrine, malgré la fatigue et l’engourdissement qui gagnaient.
Ils chevauchèrent ainsi toute la journée. De temps à autre, deux
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