Les cochons d'argent
s’écoule des fourneaux le long d’une rigole ; les moules à lingots se trouvent accrochés de part et d’autre, comme des porcelets tétant leur mère.
Petronius m’écouta raconter cela d’un air sceptique. Il semblait parfois étonné de l’étendue de ma science.
En fait, ce précieux petit goret n’était jamais qu’une longue pièce de métal, mesurant cinquante centimètres de long sur douze de large et dix de hauteur, légèrement biseautée aux extrémités. Le nom de l’Empereur était gravé sur l’une des faces. Cela ne payait pas de mine, mais il suffisait de chercher à le soulever pour se retrouver plié en deux. Vingt-quatre louches de minerai fondant pour chaque moule standard. Pas impossible à soulever, mais tout de même difficile à subtiliser discrètement. Si on y parvenait, cela en valait la peine. Dans les collines Mendip, le minerai avait un rendement en argent très élevé – cent trente onces à la tonne, en moyenne. Je me demandais si l’argent avait déjà été extrait de la pièce posée devant nous sur la table.
Le gouvernement détenait un monopole sur tous les minerais précieux ; quelle qu’en fût la provenance, il appartenait au service des monnaies.
Nous le fîmes basculer pour le retourner et voir s’il y avait un poinçon officiel. Le poinçon était bien là. T CL TRIF – ces lettres incompréhensibles étaient reproduites quatre fois – puis EX ARG BRIT – l’estampille familière que nous redoutions de trouver… Petronius grogna.
— Du britannique, la belle signature ! Il y en a un quelque part qui doit bien suer de trouille…
Le même pressentiment nous saisit tous les deux.
— Il est temps d’y aller, suggéra Petro. Je mets l’objet en sécurité – l’endroit habituel ? Tu te charges de la gamine ?
Je fis oui de la tête.
— Falco, que se passe-t-il ? demanda Sosia, tout excitée.
— Petro va dissimuler le cochon dans un endroit bien nauséabond, là où aucun scélérat n’osera aller le chercher. Vous allez rentrer chez vous. Quant à moi, il est temps que je retourne voir votre oncle Decimus.
13
Je ramenai Sosia Camillina dans une chaise à porteurs. Il y avait bien la place de s’y mettre à deux… elle était légère comme une plume, et j’avais moi-même si rarement l’occasion de manger à ma faim que les porteurs acceptèrent de nous laisser monter tous les deux. Je demeurai silencieux assez longtemps. Quand elle comprit que je ne lui en voulais plus, elle se mit à bavarder. Je l’écoutai d’une oreille distraite. À son âge, elle trouvait une telle aventure très palpitante.
Cette famille Camillus commençait à m’agacer. Quand ils ne mentaient pas, ils ne disaient la vérité qu’à moitié – sauf, bien entendu, pour me dire des choses que j’eusse mieux aimé ne pas entendre. Mon alléchant contrat semblait devoir déboucher sur une impasse.
— Pourquoi restez-vous silencieux ? me demanda soudain Sosia Camillina. Vous cherchez le meilleur moyen de voler le cochon d’argent ?
Je préférai ne pas répondre ; la question m’avait, je l’avoue, effleuré l’esprit.
— Falco, vous n’avez jamais un peu d’argent ?
— Si, parfois.
— Et vous en faites quoi ?
Je lui dis sèchement que je payais mon loyer.
— Je vois ! fit-elle.
Elle me dévisageait avec ses grands yeux troublants. Son expression s’assombrit, comme pour me reprocher ma dureté. J’aurais dû lui conseiller de ne pas adresser de tels regards à un homme en tête à tête. Je m’abstins, me voyant mal lui expliquer pourquoi.
— Mais, Didius, vous en faites quoi, vraiment ?
— Je l’envoie à ma mère.
Le ton de cette réponse la laissa perplexe, un état que j’aimais bien provoquer à l’époque chez les femmes. J’estimais qu’un homme n’avait pas à expliquer à une femme comment il dépensait son argent. La belle époque ! Avant mon mariage… Ma femme est venue éclairer cette question sous un tout autre jour… À vrai dire, je payais parfois mon loyer (la plupart du temps) puis, déduction faite des dépenses inévitables, j’envoyais la moitié à maman ; le reste allait à la jeune femme que mon frère n’avait pas eu le temps d’épouser avant d’aller se faire tuer en Judée, et à l’enfant dont il n’avait jamais connu l’existence. Enfin, toutes ces histoires ne concernaient en rien la nièce d’un sénateur.
Je me débarrassai de la jeune fille auprès de sa
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