Les compagnons de la branche rouge
d’Irlande. Ensuite, on affirme que l’Ulster est protestant et
complètement anglicisé. Qu’il existe une majorité protestante – mais laquelle ?
– en Irlande du Nord est incontestable. Il faudrait néanmoins préciser que ce
phénomène n’est pas antérieur au XVII e siècle, soit
à l’époque des trop tristement célèbres « plantations » qui ont vu
littéralement planter au nord-est de l’île des populations calvinistes
presbytériennes originaires d’Écosse, elles-mêmes persécutées par les anglicans
au même titre que les catholiques romains. C’est oublier aussi que l’Ulster fut
la première province irlandaise touchée par le christianisme, lorsque saint
Patrick y établit l’évêché d’Armagh, devenu depuis, bien qu’il se trouve en
territoire britannique, le siège du Primat catholique d’Irlande – et, parallèlement,
du Primat anglican, puisque les anglicans se prétendent toujours de simples
catholiques réformés. Quant à l’anglicisation de l’Ulster, elle n’est pas pire
que celle de la majeure partie de l’Irlande, si l’on fait exception des régions
de l’ouest, Donegal inclus, où la langue gaélique s’est maintenue et où elle
est officiellement protégée et encouragée. En fait, l’Ulster a toujours été, et
depuis les temps les plus anciens, une sorte de forteresse des coutumes et de
la langue des Gaëls.
Le fait tient à l’extrême proximité de l’Écosse et du nord
de l’Angleterre proprement dite : il fallait que les Ulates se
défendissent contre les influences anglaises en privilégiant leurs spécificités
celtiques, et c’est d’Ulster que saint Colum-Cill, prince ulate, partit d’ailleurs
évangéliser, conquérir et celtiser le nord de l’Écosse. Il tient également à la
nature du pays, lequel comporte moins de terres stériles que dans l’ensemble de
l’île et bénéficie de très bons ports pour le commerce avec la Grande-Bretagne
et le continent. Il tient encore au caractère entier et volontaire des
habitants d’Ulster, tant protestants que catholiques, la troisième composante, les
anglicans, étant beaucoup moins importante et très marginalisée, en dépit de
son appartenance à l’obédience officielle, puisque l’anglicanisme est religion
d’État.
Si l’on en croit les récits épiques qui les concernent, les
anciens Ulates étaient exactement de la même trempe. Courageux, actifs, braves
jusqu’à l’insolence et la témérité, infatigables dans les combats comme dans
les travaux, ils offrent l’image d’un peuple sain qui ne dédaigne pas, à l’occasion
– mais les occasions sont fréquentes, et c’est un trait commun à tous les
Celtes ! –, de se complaire dans des festins qui durent trois jours et
trois nuits et dans des beuveries interminables au cours desquelles les convives
s’affrontent verbalement avant d’en venir volontiers aux mains. Ils n’oublient
jamais qu’ils sont d’abord des êtres humains, avec des défauts aussi grandioses
que leurs qualités. Un récit aussi pittoresque que l’ Ivresse
des Ulates en porte suffisamment témoignage, tout en confirmant les
rapports des Grecs, en particulier Diodore de Sicile, Strabon et Athénée.
Il ne faudrait cependant pas croire que les Ulates ne sont
que de joyeux braillards occupés à faire ripaille dans le plus grand désordre. Loin
d’être désorganisée, leur société apparaît comme solidement structurée, bâtie
sur des usages qui, au cours des temps, ont acquis force de loi. Et c’est leur
volonté farouche de ne rien laisser au hasard qui les a conduits, du moins dans
les récits épiques où se confondent rêve et réalité, mythe et histoire, à
mettre au point la curieuse institution du compagnonnage de la Branche Rouge.
Si l’appellation n’a pas de sens ésotérique très prononcé, elle
n’en sert pas moins à qualifier un compagnonnage quelque peu initiatique, une
sorte de fraternité guerrière qui n’est pas sans faire penser à la Table Ronde
du roi Arthur. Toutefois, le nom de « Branche Rouge » désigne en fait
l’une des trois maisons royales que possède le roi d’Ulster dans la forteresse
d’Émain Macha, capitale en quelque sorte du royaume, et où il tient ses
assemblées, en compagnie de ses chefs et de ses principaux guerriers. Une autre,
nommée « Maison Bariolée », sert à entreposer les armes et les
équipements des guerriers ulates. La troisième, dite « Branche
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