Les compagnons de la branche rouge
Branche Rouge, on a comme l’impression qu’il échappe
au temps et à l’espace. On l’a vu prendre part aux aventures de Fraech lorsque
celui-ci était à la recherche de sa femme et de son troupeau [3] .
Il rôde à travers des batailles indéfinissables qui se rattachent tant au cycle
mythologique qu’à celui qu’on appelle « cycle des Rois », et ce de
manière d’autant plus remarquable qu’il est difforme pour avoir été, nouveau-né,
piétiné par Cêt, fils de Maga, son propre oncle maternel, en raison d’une
prophétie selon laquelle il tuerait un jour plus de la moitié des hommes de Connaught.
D’où, naturellement, une haine inexpiable entre eux, et si possible aggravée
par le rôle d’âme damnée que joue Cêt auprès d’Ailill et Maeve, ennemis jurés d’Ulster.
De fait, les compagnons de la Branche Rouge sont
perpétuellement en conflit avec les guerriers des autres cinquièmes ,
indépendamment de leurs origines ethniques ou des liens de parenté qu’ils
peuvent avoir avec eux. Tout se passe comme s’ils constituaient une entité
morale à part, un peu à l’image d’une société initiatique où les seuls liens
qui comptent sont d’ordre magique. On peut d’ailleurs en mesurer la force :
même brouillé avec Conor et passé à l’ennemi, en l’occurrence au Connaught, le
héros Fergus mettra tous ses soins à ne pas faire de tort à ses anciens pairs, notamment
à Couhoulinn dont il a été l’initiateur.
Autrement ambiguës sont leurs relations avec Cûroi mac Daeré.
Ils seront parfois ses alliés pour des expéditions dans l’Autre Monde, ou
encore lors d’épreuves magiques destinées à déterminer quel est le guerrier
ulate le plus valeureux. Mais Cûroi, dont le nom signifie littéralement « chien
qui combat », ce qui le met en parallèle – et en rivalité – avec
Couhoulinn le « chien », protecteur non seulement de Culann, mais de
tous les Ulates, est en réalité lui-même un personnage de l’Autre Monde. Il est
dit roi d’une partie du Munster, mais il ressemble à un Fir
Bolg ou à un membre des tribus de Dana plus qu’à un Gaël. De plus, il ne
peut être tué que dans des conditions bien précises, et par sa propre épée, ce
qui le rend quasiment invulnérable. Et ce n’est que par la trahison de son
épouse Blathnait, maîtresse de Couhoulinn, que celui-ci pourra tuer Cûroi. Cependant,
le geste sera lourd de conséquences puisque Couhoulinn sera tué plus tard, à
titre de vengeance, par Lugaid, fils de Cûroi, que tue à son tour Conall Cernarch,
vengeant ainsi le héros. Il n’empêche que Cûroi demeure un personnage mystérieux,
et une variante de sa légende prétend même que son âme n’était pas dans son
corps, mais enfermée dans une pierre, ce qui fait de lui l’un de ces Corps sans Âme qui foisonnent dans les contes populaires, notamment
en Bretagne [4] .
Cela dit, le grand héros ulate – mais également le plus
considérable de tous les héros irlandais légendaires, le symbole même du héros
gaël libre, tel qu’il est statufié à l’intérieur de la Poste centrale de Dublin,
haut lieu de la lutte du peuple irlandais pour sa libération – est Couhoulinn ( Cùchulainn ), fils de Sualtam, autre neveu du roi Conor, l’un
des plus remarquables champions des épopées occidentales. On a voulu, au début
de ce siècle, en faire l’équivalent de l’Achille grec, mais il est bien
davantage : Achille se fait battre et tuer stupidement parce que sa mère, la nymphe Thétis, avait omis ou négligé de lui immuniser son
fameux talon , son seul point faible, comme le prétend
la légende classique, soucieuse d’épargner aux élèves des écoles et collèges la
moindre allusion à l’homosexualité du héros et à sa liaison passionnée avec
Patrocle. Certes, Couhoulinn, si on analyse les textes qui le concernent, est
également suspect d’homosexualité, comme d’ailleurs tous les « frères d’armes »
de cette époque lointaine [5] ,
ainsi que le font remarquer les chroniqueurs grecs de l’Antiquité qui savaient
parfaitement de quoi ils parlaient ; mais il ne doit pas son apparente
invulnérabilité à un trempage dans un bain d’immortalité. Il n’a pas de point
faible, du moins physique [6] .
Il est peut-être fils d’une divinité, comme Achille, mais sa puissance et sa
gloire, il les tient de lui-même, et sa mort ne sera que la conséquence logique
de sa mission sur terre et non la volonté
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