Les compagnons de la branche rouge
une lâche trahison de celui-ci l’incite à
émigrer chez leurs ennemis de Connaught, à la cour d’Ailill et de Maeve. Ce
Fergus est un personnage considérable, une personnification des forces
instinctives de l’être. Son nom dérive de la racine indo-européenne qui a donné
le grec ergon et le latin vir :
littéralement Fergus est le « viril », le « fort ». De fait,
certains récits le décrivent comme une sorte de géant doté d’une verge longue
de sept mains et de testicules vastes comme un sac. Il lui faut d’ailleurs sept
femmes pour satisfaire sa libido, et son nom patronymique mac
Roeg signifie « fils d’Étalon ». Dans les textes mythologiques
plus anciens, on pourrait le comparer à deux des Tuatha Dé
Danann , le célèbre Dagda et le champion Ogma [1] .
Mais, si sa force est redoutable, si ses colères sont violentes, il est capable
de manifester de la bonté, de la pitié, de l’affection, et il possède un sens
de l’honneur très développé.
La plupart des compagnons de la Branche Rouge sont des
personnages hauts en couleur et qui ne sont pas sans rappeler les guerriers qui
entourent le roi Arthur dans sa légende archaïque, en particulier dans le récit
gallois de Kulhwch et Olwen [2] . Certes,
ils ne sont pas des chevaliers courtois, comme on en voit tant dans les romans
de la Table Ronde rédigés aux XII e et XIII e siècles pour une société aristocratique raffinée, mais
plutôt d’anciennes figures divines – ou démoniaques – héritées de la plus
lointaine mythologie. Ils ont gardé de leurs origines des caractéristiques qui
en font non seulement de cruels guerriers mais de véritables magiciens doués de
pouvoirs quasi surnaturels, et, à ce titre, ils ont souvent leurs
correspondants dans les récits épiques des autres traditions indo-européennes.
Ainsi en est-il d’un noble ulate connu sous l’appellation de
Bricriu, « à la langue empoisonnée ». Il ne manque pas une seule
occasion de semer la zizanie parmi les compagnons et, d’une façon plus générale,
parmi ses compatriotes. Il évoque bien entendu le sénéchal Kaï des romans
arthuriens, toujours prêt à décocher des paroles blessantes ou à propager des
calomnies. Mais il évoque également le Thersite grec, et surtout le Loki
germano-scandinave, exemple idéal du fauteur de troubles qui entraîne
inexorablement les dieux vers le Ragnarök final. Mais
on peut aller encore plus loin, aux confins orientaux du domaine indo-européen,
dans la tradition des Ossètes du nord du Caucase, descendants des anciens
Scythes : un personnage analogue, nommé Syrdon, se signale dans un étrange
récit dont il faudra reparler à propos de la malédiction qui frappe le peuple
des Ulates.
Autre compagnon de la Branche Rouge, et assez énigmatique, Celtchar,
fils d’Uthecar. Guerrier redouté de tous les ennemis d’Ulster, il se voit
infliger une blessure qui force la comparaison avec celle du Roi Pêcheur, dans
l’épopée du Graal – encore que nombre d’autres héros soient affligés de « plaies »
(tares physiques) incontestablement symboliques : tels Cuscraid « le
Bègue » et, surtout, Conall Cernach – qui louche – ou Couhoulinn – le
borgne –… Quant à sa mort, au terme d’une sombre vengeance par le sang, elle l’apparente
à une victime divine expiatoire.
Conall Cernach et Couhoulinn forment avec Loegairé le
Victorieux un trio de frères d’armes, unis par un courage indomptable et
néanmoins désunis par une rivalité qui se manifeste en toute occasion, notamment
quand il s’agit de décerner à l’un d’eux la palme de la bravoure. On pourrait
ainsi comparer Loegairé au Bohort ou à l’Yvain des romans arthuriens, mais
Conall Cernach est d’une autre trempe encore : il serait plutôt l’équivalent
de Gauvain ( Gwalchmaï ), le célèbre neveu d’Arthur. D’ailleurs,
comme celui-ci, Conall est l’aîné des neveux du roi Conor – du côté de ses
sœurs et, par conséquent, selon la coutume celtique, et bien que Conor ait
lui-même des fils, l’héritier présomptif du trône. Mais, quoi qu’il en soit, Conall
Cernach est certainement le type le plus achevé du héros guerrier selon les
critères des compagnons de la Branche Rouge, celui qui apparaît le plus souvent
dans les récits et qui accomplit, au nom des Ulates, des exploits mémorables
entre tous.
Et, comme il apparaît en outre dans des récits qui n’ont
plus rien à voir avec la
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