Les compagnons de la branche rouge
solitaire
terrassa sous lui les cent cinquante qui l’affrontaient, tandis qu’à eux tous, ils
ne suffisaient pas à le maîtriser. Et Conor ne savait assez admirer tant d’adresse
et tant de force chez un enfant si jeune. En fait, il éprouvait une grande
fierté qu’il s’agît du fils de sa sœur.
« Ah ! s’écria-t-il, heureuse la terre d’où a
surgi le rejeton que vous voyez là, si les exploits de son âge adulte peuvent
égaler ceux de son enfance ! – Ne parle pas ainsi, roi Conor, intervint
Fergus. Il ne fait aucun doute qu’à mesure qu’il grandira, ses exploits
grandiront aussi. – Allez l’appeler ! ordonna Conor. Je veux qu’il nous
accompagne au festin auquel nous sommes conviés. En vérité, il est digne d’y
participer, tant sa valeur le distingue au regard de tous. »
Sétanta ne tarda guère à se présenter devant Conor.
« Eh bien, fils de ma sœur, dit le roi, viendras-tu
boire au festin où nous nous rendons ? – Certainement pas, répondit l’enfant.
– Et pourquoi donc ? – Parce que les fils d’Émain n’ont pas encore eu leur
content de jeux et de plaisirs. Je ne les quitterai que lorsqu’ils en auront
assez de jouer contre moi à tous les jeux que nous pratiquons. – Certes, dit
Conor, voilà une louable décision, mais nous n’avons pas le loisir d’attendre, petit
garçon. Nous t’avons invité à nous accompagner, quitte donc ces jeunes gens et
viens. – Allez devant, répliqua-t-il, je vous rejoindrai sitôt que j’en aurai
fini avec eux. – Mais tu ne connais pas la route qui mène chez le forgeron Culann !
objecta Conor. – Cela ne m’inquiète guère. Il me suffira de suivre les traces
de votre troupe, celles des roues des chars et celles des pas des chevaux. »
Et le fils de Dechtiré reprit ses compétitions avec les
adolescents d’Émain, tandis que Conor et sa troupe s’élançaient vers la demeure
du forgeron Culann. Parvenu là, le roi fut accueilli dans les meilleures
conditions, et on honora chacun de ceux qui l’escortaient selon son grade, son
rang, ses talents, ses droits, sa noblesse, conformément aux usages du royaume.
On répandit au sol des joncs et de la paille fraîche ; ils s’assirent
autour du foyer et commencèrent à boire et à se réjouir.
« Roi Conor, demanda Culann, as-tu ordonné à quelqu’un
de te suivre ou de te rejoindre en ma forteresse, cette nuit ? »
À cette question, Conor, qui se trouvait déjà sous l’influence
de l’ivresse, répondit sans se souvenir du petit garçon qu’il avait invité à
participer au festin.
« En vérité, non, je n’ai rien ordonné. Tu m’avais prié
de ne pas amener trop de monde, et j’ai respecté ton souhait. Au fait, pourquoi
me demander cela ? – Parce que j’ai un chien de guerre aussi féroce qu’impitoyable
et, chaque nuit, je le libère de ses chaînes afin qu’il garde les alentours de
la forteresse. Quand il est libre, nul n’ose l’approcher, tant la peur qu’il
inspire est grande. Sa seule présence me préserve des voleurs, des pillards et
des criminels en tout genre. Il est en effet, je te le répète, d’une
inconcevable férocité. Il ne connaît personne d’autre que moi-même, et il vaut
bien une centaine d’hommes. – Dans ce cas, dit Conor, libère-le, et qu’il
protège notre nuit contre tous les rôdeurs et tous les importuns. »
On ôta ses chaînes au chien de Culann qui, après un tour
rapide aux alentours, gagna le tertre où il s’allongeait d’habitude pour
surveiller la forteresse. Il était là, la tête entre les pattes, insolent, barbare,
furieux, le poil hérissé, la gueule béante, l’allure hargneuse.
Entre-temps, les jeunes gens d’Émain Macha avaient poursuivi
leurs compétitions contre le fils de Dechtiré. Lorsqu’ils furent rassasiés de
jeu, ils se dispersèrent, et chacun regagna la maison de son père et de sa mère,
ou de sa nourrice et de son père adoptif. Quant à Sétanta, il se mit aussitôt
en route pour rejoindre le roi Conor, son oncle, chez le forgeron Culann.
Il repéra d’abord sur le sol les traces laissées par les
roues des chars et le pas des chevaux, puis il les suivit. Et, pour se
distraire pendant son voyage, il se mit à jouer avec sa balle, son javelot et
son épieu. Une fois parvenu en vue de la forteresse de Culann, où se trouvaient
le roi Conor et ses principaux guerriers, il lança tous ses jouets en l’air, ne
conservant que sa balle.
Or, le chien de
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