Les compagnons de la branche rouge
bientôt, l’empoignade fut générale.
S’ensuivirent tant et tant de coups sur l’oreille que le tas
qui jonchait le sol s’élevait aussi haut que le pignon de la maison et que d’épais
ruisseaux de sang coulaient par les sept portes. Les troupes demeurées dehors
firent irruption en poussant d’horribles clameurs, et le sang ne tarda guère à
ruisseler jusqu’au milieu de la cour, tant chacun massacrait chacun. Fergus
déracina un chêne et comme il s’en servait ainsi que d’une massue pour assommer
ses adversaires, les combattants franchirent les poternes et se poursuivirent à
l’extérieur de la forteresse.
À ce moment, Mac Dathô sortit à son tour dans la prairie. Il
tenait son chien en laisse et le lâcha parmi les combattants pour savoir quel
parti choisirait son intelligence d’animal. Or, Ailbé choisit les Ulates et fit
un tel carnage d’hommes de Connaught que ceux-ci furent bientôt en déroute. Il
se lança à leur poursuite, leur manifestant une implacable férocité.
Au milieu de la confusion générale, Ailill et Maeve s’enfuyaient
sur leur char en direction de l’ouest quand il les rejoignit, au bord d’une
rivière, et happa dans ses crocs le timon du char. Quand il s’en aperçut, Ferloga,
le cocher du roi, lui décocha un si furieux coup d’épée qu’il lui trancha la
tête, mais, tandis que son corps tombait dans la rivière, celle-ci demeura
plantée dans le timon. Et, depuis ce temps-là, l’endroit où fut tué le chien de
Mac Dathô est appelé la Plaine d’Ailbé.
Cependant, les Ulates s’étaient eux-mêmes lancés aux
trousses des gens de Connaught. Conor en personne, depuis son char, les
encourageait de la voix et du geste. Les fuyards passèrent le long de la crête
de Criach que l’on appelle aujourd’hui Kildare et empruntèrent le Gué de la
Tête du Chien, lieu où la tête d’Ailbé, se détachant enfin du timon du char d’Ailill
et de Maeve, tomba dans la rivière. Un peu plus loin, dans la lande de Midé, plus
à l’ouest, Ferloga, le cocher d’Ailill, se jeta dans la bruyère et s’y
dissimula. Quand il vit passer le char du roi Conor, il y sauta, saisit
par-derrière la tête du roi et la tira violemment.
« Ô Conor, illustre fils de Ness, dit-il, que me
donneras-tu si je t’épargne ? – Choisis selon ta volonté, répondit Conor.
– Ce n’est pas grand-chose, en vérité, dit Ferloga. Emmène-moi à Émain Macha
pendant un an. Je veux que, chaque soir, les femmes à marier et les jeunes
filles nubiles d’Ulster viennent entourer mon lit et chanter en chœur : “Ferloga,
mon bien-aimé !” Tu vois, ce n’est pas difficile. »
Il fallut le lui accorder. Certes, les Ulates étaient
ulcérés de rendre un pareil hommage au cocher de leurs pires ennemis, mais les
ordres étaient les ordres, et le roi Conor avait donné sa parole pour sauver sa
vie. Au bout d’un an, Ferloga fut conduit à Athlone, et on lui donna, de la
part de Conor, deux chevaux à brides d’or. Quant au roi, il n’oublia jamais que
la duplicité de Mac Dathô avait entraîné la perte de nombreux guerriers, et il
ne manqua par la suite aucune occasion de la faire payer aux gens de Leinster [71] .
CHAPITRE IV
Les enfances de Couhoulinn
L’enfant que Dechtiré avait mis au monde était élevé par sa
mère et par son père Sualtam à Airgdig, dans la plaine de Murthemné. Parvenu à
l’âge de cinq ans, il entendit vanter les mérites des adolescents qui se
trouvaient dans la forteresse d’Émain Macha, et apprit de quelle manière Conor
passait son temps depuis qu’il avait acquis la royauté sur les Ulates : à
son lever, il réglait les affaires et les problèmes du royaume, puis il
partageait sa journée en trois parties. Il consacrait la première à observer
les fils de nobles qui s’exerçaient à des jeux d’adresse et au lancer du
javelot, la deuxième à jouer lui-même et à disputer des parties d’échecs [72] ,
la troisième, enfin, à manger et boire jusqu’au moment où le sommeil s’emparait
des convives. Et, quand tout le monde était couché, des musiciens et des
chanteurs le berçaient de douces musiques. Telles étaient ses activités, et il
n’y avait, à l’époque, pas plus en Irlande qu’en Écosse, de guerrier aussi
noble et aussi respecté que Conor, fils de Ness.
Or, comme on racontait au petit Sétanta mille histoires sur
les jeunes gens d’Émain Macha, sur leurs exercices et leurs jeux, il demanda à
sa
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