Les compagnons de la branche rouge
fut tenté de rire en entendant ce raisonnement ; mais
l’audace tranquille et l’insouciance d’un pareil bambin le suffoquèrent.
« Qui es-tu donc ? demanda-t-il. – Je suis Sétanta,
fils de Sualtam et de Dechtiré, ta sœur. Certes, en venant chez toi, je ne
pensais pas subir un pareil affront. – C’est que, reprit Conor, tu ne connais
pas la coutume. – La coutume ? Quelle coutume ? – Voici, répondit
Conor. Il est interdit aux enfants et aux adolescents d’Émain Macha d’admettre
aucun nouveau venu dans leurs jeux sans qu’on leur ait confié sa sauvegarde et
sa protection. – Je l’ignorais. Si je l’avais su, je leur aurais demandé
sauvegarde et protection, je te l’assure. »
Conor manda les cent cinquante garçons dans la cour de la
forteresse et, quand ils furent tous rassemblés autour d’eux, il leur dit :
« Voyez ce petit garçon : c’est le fils de ma sœur. Eh bien, je vous
charge de sa sauvegarde et de sa protection. Vous pouvez l’admettre parmi vous.
– C’est entendu, répondirent-ils. Nous le ferons volontiers. »
Mais Sétanta ne semblait pas satisfait pour autant. Dès que
les cent cinquante l’eurent assuré de leur protection, il se précipita sur eux
et jeta à terre, sous son genou, cinquante fils de rois. Et ils poussaient de
tels cris de douleur que leurs pères crurent qu’il les tuait. Il s’était
pourtant contenté de les attraper à plein corps : ils hurlaient surtout de
terreur, à cause de la force inouïe de l’enfant.
« Qu’y a-t-il encore ? s’emporta Conor. N’as-tu
pas obtenu satisfaction ? Ne t’ont-ils pas admis parmi eux ? Pourquoi
cette violence ? – Par le dieu que jure ma tribu ! s’écria l’enfant, je
veux qu’ils se placent à leur tour sous ma sauvegarde et ma protection, j’ai
bien accepté les leurs, moi… ! S’ils n’y consentent, je n’ôterai ma main d’au-dessus
d’eux que je ne les aie tous plaqués contre terre ! – Fort bien, mon
garçon, dit Conor. Puisque tel est ton désir, tu assumeras la sauvegarde et la
protection des jeunes gens d’Émain Macha. – C’est entendu, je le ferai. »
Et voilà comment, dès l’âge de cinq ans, Sétanta, fils de
Dechtiré, devint le garant et le protecteur de tous les adolescents qui
entouraient le roi Conor en sa forteresse d’Émain Macha.
Il existait une autre coutume, en Ulster, qui voulait que, chaque
année, les grands vassaux reçoivent chez eux le roi Conor, le nourrissent et l’abreuvent,
lui et ses gens. Nul ne pouvait s’y dérober. Vint ainsi le tour du forgeron
Culann, le plus habile des artisans d’Ulster.
Culann vint donc à Émain inviter le roi à festoyer dans sa
maison. Toutefois, il le pria de ne pas amener de suite trop nombreuse mais
seulement l’escorte indispensable, car il ne possédait ni grandes terres ni
grands domaines et ne pouvait accueillir des foules de convives, sa richesse
consistant uniquement en ses marteaux, ses enclumes, ses tenailles et ses
poings. Conor admit la chose avec sa bonne grâce coutumière et promit de ne
venir qu’avec peu de gens. Et, là-dessus, Culann regagna sa forteresse et s’efforça
de préparer du mieux possible les mets et les breuvages qu’il destinait à ses
hôtes.
Au jour fixé, Conor quitta l’assemblée et s’apprêta pour le
voyage, puis il alla prendre congé des jeunes gens qui s’ébattaient sur la
prairie, devant la forteresse. Or, en arrivant là, il vit une chose qui l’étonna
grandement : les cent cinquante garçons se trouvaient à l’une des
extrémités du terrain, tandis qu’à l’autre extrémité s’en tenait un seul. Et ce
dernier l’emportait toujours au jeu du but et du jet [74] sur les cent cinquante qui lui faisaient face. Et lorsqu’on se mit à jouer au
jeu du trou [75] ,
qui se pratiquait volontiers sur la prairie d’Émain en ce temps-là, et que les
cent cinquante eurent à lancer et lui à défendre, il écarta si bien du trou
leurs cent cinquante balles qu’aucune n’y put entrer. Et lorsque ce fut à lui
de lancer et à eux de défendre, il mit malgré eux ses cent cinquante balles
dans le trou, sans aucune faute.
Ensuite, Conor les vit jouer à s’arracher leurs vêtements. Or,
à lui tout seul, le jeune garçon leur déroba leurs cent cinquante capes, et eux,
tous ensemble, ne réussirent même pas à toucher la broche qui fermait la sienne.
Ils se mirent alors à jouer à la lutte mais, en peu d’instants, le
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