Les compagnons de la branche rouge
convint à l’enfant qui, tour à tour, les brisa de même.
« Ces armes ne sont pas bonnes, ô mon père Conor, dit-il
enfin. Assurément, elles n’étaient pas dignes de moi. »
Abasourdi de l’avoir vu rompre comme des fétus des armes
aussi solides, Conor alla chercher sa propre épée, ses deux lances et son
bouclier et les lui tendit. Le gamin les prit, les secoua et les mania, mais il
eut beau les brandir et les éprouver, ceux-ci lui résistèrent.
« Assurément, dit-il, voilà de bonnes armes, et qui me
conviennent. Heureux le roi qui dispose d’une telle panoplie, et heureux le
pays sur lequel il règne. »
À ce moment, le druide Cavad entra dans la maison du roi et
aperçut Couhoulinn en train de s’exercer avec les armes de Conor.
« Comment ? s’écria-t-il. Est-ce cet enfant qui a
pris tes armes ? – Tu le vois, répondit Conor. – Ma foi, reprit Cavad, je
ne désirais certes pas que le fils de sa mère les prît en ce jour. – Comment
cela ? s’étonna Conor. Je croyais que tu lui en avais révélé le signe pour
ce jour-ci… – Sûrement pas ! » protesta Cavad.
Le roi Conor devint rouge de colère.
« Qu’est-ce qui t’a pris, lutin enragé ? cria-t-il
à l’adresse du garçon. Nous aurais-tu menti ? – Ne sois pas fâché, ô mon
père Conor. C’est bien Cavad qui a révélé le signe, mais sans se douter que
celui-ci me concernait. Il en parlait à ses disciples, et moi, j’ai entendu ce
qu’il disait. On lui demandait en effet quel était le signe du jour, et il a
répondu : “Si un petit garçon prend les armes pour la première fois
aujourd’hui, il s’attirera honneur et gloire, mais sa vie sera brève et peu
durable.” – Et je le maintiens, dit Cavad. À mon avis, mon garçon, tu brilleras
par ton audace et tes prouesses, mais ta vie sera courte, et nombreux seront
les Ulates à déplorer ta perte. – Et moi, je n’y verrais qu’avantage, répliqua
Couhoulinn. J’aimerais mieux ne vivre qu’un jour et une nuit, si le récit de
mes aventures devait me survivre. – Dans ce cas, soupira Cavad, et puisque le
signe que j’ai lu se rapporte à toi, monte sur un char et suis ton destin… »
Les deux hommes emmenèrent donc Couhoulinn vers la partie de
la forteresse où l’on parquait les chars. Il y en avait là dix-sept, que le roi
destinait aux jeunes gens qu’on élevait à Émain Macha sous sa protection. Le
garçon grimpa sur l’un d’eux, le secoua et le remua tant et si bien dans tous
les sens qu’il l’eut bientôt mis en pièces. Il sauta dans un deuxième et ne
tarda pas davantage à le démolir, et dans un troisième qui ne lui résista pas
mieux. Et, en un rien de temps, les dix-sept se retrouvèrent ainsi disloqués et
démantibulés.
« Vraiment, dit-il, ces chars ne valaient rien, ô mon
père Conor. Ils n’étaient assurément pas dignes de moi. »
Les Ulates s’étaient attroupés, cependant, si fort
émerveillés qu’ils ne pipaient mot. Quant à Conor, il manda son propre cocher, Ibar,
fils de Riangabar, le plus habile conducteur de chevaux que l’on connût à cette
époque en Ulster [80] .
« Je suis ici, répondit Ibar. – Amène mes deux chevaux
et attelle-les à mon char », ordonna le roi.
Ibar s’empressa d’obéir, et Couhoulinn sauta sur le char
royal, le secoua comme précédemment, mais le char résista et demeura intact.
« Ce char-ci est bon, ô mon père Conor, dit le petit
garçon. Il me convient parfaitement. Je veux partir immédiatement. – Attends un
peu, dit le cocher. Laissons les chevaux paître, pour cette fois. – Certainement
pas. Je veux leur faire faire le tour d’Émain Macha. En ce jour où je prends
les armes pour la première fois, ne me faut-il pas prouver mon adresse en
présence de tous les Ulates ? »
Ils firent donc trois fois le tour d’Émain Macha.
« Maintenant, dit Ibar, laisse paître les chevaux, petit
garçon. – Certainement pas. Mène-moi devant les jeunes gens, qu’ils me saluent
tous, en ce jour où je prends les armes pour la première fois. »
Ils gagnèrent le lieu où s’ébattaient ses anciens compagnons,
et ceux-ci l’admirèrent et le saluèrent, non sans lui reprocher d’avoir pris
les armes prématurément et de les abandonner.
« Je ne vous abandonne pas, répliqua Couhoulinn. Si j’ai
été contraint par un signe à prendre les armes aujourd’hui, je compte bien
revenir vers vous et reprendre part à vos jeux. – Eh bien,
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