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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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que j'avais pensé à noter
l'échelle par chiffres pour éviter d'avoir toujours à tracer des
lignes et portées lorsqu'il fallait noter le moindre petit air.
J'avais été arrêté par les difficultés des octaves et par celles de
la mesure et des valeurs. Cette ancienne idée me revint dans
l'esprit, et je vis, en y repensant, que ces difficultés n'étaient
pas insurmontables. J'y rêvai avec succès, et je parvins à noter
quelque musique que ce fût par mes chiffres avec la plus grande
exactitude, et je puis dire avec la plus grande simplicité. Dès ce
moment je crus ma fortune faite; et, dans l'ardeur de la partager
avec celle à qui je devais tout, je ne songeai qu'à partir pour
Paris, ne doutant pas qu'en présentant mon projet à l'Académie je
ne fisse une révolution. J'avais rapporté de Lyon quelque argent;
je vendis mes livres. En quinze jours ma résolution fut prise et
exécutée. Enfin plein des idées magnifiques qui me l'avaient
inspirée, et toujours le même dans tous les temps, je partis de
Savoie avec mon système de musique, comme autrefois j'étais parti
de Turin avec ma fontaine de Héron.
    Telles ont été les erreurs et les fautes de ma jeunesse. J'en ai
narré l'histoire avec une fidélité dont mon cœur est content. Si
dans la suite j'honorai mon âge mûr de quelques vertus, je les
aurais dites avec la même franchise, et c'était mon dessein; mais
il faut m'arrêter ici. Le temps peut lever bien des voiles. Si ma
mémoire parvient à la postérité, peut-être un jour elle apprendra
ce que j'avais à dire. Alors on saura pourquoi je me tais.

Livre VII
    Après deux ans de silence et de patience, malgré mes
résolutions, je reprends la plume. Lecteur, suspendez votre
jugement sur les raisons qui m'y forcent : vous n'en pouvez
juger qu'après m'avoir lu.
    On a vu s'écouler ma paisible jeunesse dans une vie égale, assez
douce, sans de grandes traverses ni de grandes prospérités. Cette
médiocrité fut en grande partie l'ouvrage de mon naturel ardent,
mais faible, moins prompt encore à entreprendre que facile à
décourager, sortant du repos par secousses, mais y rentrant par
lassitude et par goût, et qui, me ramenant toujours, loin des
grandes vertus et plus loin des grands vices, à la vie oiseuse et
tranquille pour laquelle je me sentais né, ne m'a jamais permis
d'aller à rien de grand, soit en bien, soit en mal.
    Quel tableau différent j'aurai bientôt à développer! Le sort qui
durant trente ans favorisa mes penchants, les contraria pendant
trente autres; et, de cette opposition continuelle entre ma
situation et mes inclinations, on verra naître des fautes énormes,
des malheurs inouïs et toutes les vertus, excepté la force, qui
peuvent honorer l'adversité.
    Ma première partie a été toute écrite de mémoire; j'y ai dû
faire beaucoup d'erreurs. Forcé d'écrire la seconde de mémoire
aussi, j'y en ferai probablement beaucoup davantage. Les doux
souvenirs de mes beaux ans, passés avec autant de tranquillité que
d'innocence, m'ont laissé mille impressions charmantes que j'aime
sans cesse à me rappeler. On verra bientôt combien sont différents
ceux du reste de ma vie. Les rappeler, c'est en renouveler
l'amertume. Loin d'aigrir celle de ma situation par ces tristes
retours, je les écarte autant qu'il m'est possible; et souvent j'y
réussis au point de ne les pouvoir plus retrouver au besoin. Cette
facilité d'oublier les maux est une consolation que le ciel m'a
ménagée dans ceux que le sort devait un jour accumuler sur moi. Ma
mémoire, qui me retrace uniquement les objets agréables, est
l'heureux contrepoids de mon imagination effarouchée, qui ne me
fait prévoir que de cruels avenirs.
    Tous les papiers que j'avais rassemblés pour suppléer à ma
mémoire et me guider dans cette entreprise, passés en d'autres
mains, ne rentreront plus dans les miennes.
    Je n'ai qu'un guide fidèle sur lequel je puisse compter, c'est
la chaîne des sentiments qui ont marqué la succession de mon être,
et par eux celle des événements qui en ont été la cause ou l'effet.
J'oublie aisément mes malheurs, mais je ne puis oublier mes fautes,
et j'oublie encore moins mes bons sentiments. Leur souvenir m'est
trop cher pour s'effacer jamais de mon cœur. Je puis faire des
omissions dans les faits, des transpositions, des erreurs de dates;
mais je ne puis me tromper sur ce que j'ai senti, ni sur ce que mes
sentiments m'ont fait faire: et voilà de quoi principalement

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