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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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prit quelque soin, et voulut que j'apprisse à faire
les honneurs de sa maison; mais je m'y pris si gauchement, j'étais
si honteux, si sot, qu'elle se rebuta et me planta là. Cela ne
m'empêcha pas de devenir, selon ma coutume, amoureux d'elle. J'en
fis assez pour qu'elle s'en aperçût, mais je n'osai jamais me
déclarer. Elle ne se trouva pas d'humeur à faire les avances, et
j'en fus pour mes lorgneries et mes soupirs, dont même je m'ennuyai
bientôt, voyant qu'ils n'aboutissaient à rien.
    J'avais tout à fait perdu chez maman le goût des petites
friponneries, parce que tout étant à moi, je n'avais rien à voler.
D'ailleurs les principes élevés que je m'étais faits devaient me
rendre désormais bien supérieur à de telles bassesses, et il est
certain que depuis lors je l'ai d'ordinaire été: mais c'est moins
pour avoir appris à vaincre mes tentations que pour en avoir coupé
la racine; et j'aurais grand'peur de voler comme dans mon enfance,
si j'étais sujet aux mêmes désirs. J'eus la preuve de cela chez M.
de Mably. Environné de petites choses volables que je ne regardais
même pas, je m'avisai de convoiter un certain petit vin blanc
d'Arbois très joli, dont quelques verres que par-ci, par-là je
buvais à table m'avaient fort affriandé. Il était un peu louche; je
croyais savoir bien coller le vin, je m'en vantai: on me confia
celui-là: je le collai et le gâtai, mais aux yeux seulement; il
resta toujours agréable à boire, et l'occasion fit que je m'en
accommodai de temps en temps de quelques bouteilles pour boire à
mon aise en mon petit particulier. Malheureusement je n'ai jamais
pu boire sans manger. Comment faire pour avoir du pain? Il m'était
impossible d'en mettre en réserve. En faire acheter par les
laquais, c'était me déceler, et presque insulter le maître de la
maison. En acheter moi-même, je n'osai jamais. Un beau monsieur
l'épée au côté aller chez un boulanger acheter un morceau de pain,
cela se pouvait-il? Enfin je me rappelai le pis-aller d'une grande
princesse à qui l'on disait que les paysans n'avaient pas de pain,
et qui répondit: Qu'ils mangent de la brioche. J'achetai de la
brioche. Encore que de façons pour en venir là! Sorti seul à ce
dessein, je parcourais quelquefois toute la ville, et passais
devant trente pâtissiers avant d'entrer chez aucun. Il fallait
qu'il n'y eût qu'une seule personne dans la boutique, et que sa
physionomie m'attirât beaucoup, pour que j'osasse franchir le pas.
Mais aussi quand j'avais une fois ma chère petite brioche, et que,
bien enfermé dans ma chambre, j'allais trouver ma bouteille au fond
d'une armoire, quelles bonnes petites buvettes je faisais là tout
seul en lisant quelques pages de roman! Car lire en mangeant fut
toujours ma fantaisie, au défaut d'un tête-à-tête: c'est le
supplément de la société qui me manque. Je dévore alternativement
une page et un morceau: c'est comme si mon livre dînait avec
moi.
    Je n'ai jamais été dissolu ni crapuleux, et ne me suis enivré de
ma vie. Ainsi mes petits vols n'étaient pas fort indiscrets:
cependant ils se découvrirent; les bouteilles me décelèrent. On ne
m'en fit pas semblant, mais je n'eus plus la direction de la cave.
En tout cela M. de Mably se conduisit honnêtement et prudemment.
C'était un très galant homme, qui, sous un air aussi dur que son
emploi, avait une véritable douceur de caractère et une rare bonté
du cœur. Il était judicieux, équitable, et, ce qu'on n'attendrait
pas d'un officier de maréchaussée, même très humain. En sentant son
indulgence, je lui en devins plus attaché, et cela me fit prolonger
mon séjour dans sa maison plus que je n'aurais fait sans cela. Mais
enfin dégoûté d'un métier auquel je n'étais pas propre et d'une
situation très gênante, qui n'avait rien d'agréable pour moi, après
un an d'essai, durant lequel je n'épargnai point mes soins, je me
déterminai à quitter mes disciples, bien convaincu que je ne
parviendrais jamais à les bien élever. M. de Mably lui-même voyait
cela tout aussi bien que moi. Cependant je crois qu'il n'eût jamais
pris sur lui de me renvoyer si je ne lui en eusse épargné la peine,
et cet excès de condescendance en pareil cas n'est assurément pas
ce que j'approuve.
    Ce qui me rendait mon état plus insupportable était la
comparaison continuelle que j'en faisais avec celui que j'avais
quitté; c'était le souvenir de mes chères Charmettes, de mon
jardin, de mes arbres, de ma

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