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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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content de vous,
monsieur; elle vous laisse un honneur dont vous jouirez longtemps
sans concurrent. Les malédictions des fripons font la gloire de
l'homme juste."
    Madame de Luxembourg, qui savait que j'avais écrit cette lettre,
m'en parla au voyage de Pâques; je la lui montrai; elle en souhaita
une copie, je la lui donnai: mais j'ignorais, en la lui donnant,
qu'elle était un de ces gagneurs d'argent qui s'intéressaient aux
sous-fermes, et qui avaient fait déplacer Silhouette. On eût dit, à
toutes mes balourdises, que j'allais excitant à plaisir la haine
d'une femme aimable et puissante, à laquelle, dans le vrai, je
m'attachais davantage de jour en jour, et dont j'étais bien éloigné
de vouloir m'attirer la disgrâce, quoique je fisse, à force de
gaucheries, tout ce qu'il fallait pour cela. Je crois qu'il est
assez superflu d'avertir que c'est à elle que se rapporte
l'histoire de l'opiate de M. Tronchin, dont j'ai parlé dans ma
première partie: l'autre dame était madame Mirepoix. Elles ne m'en
ont jamais reparlé, ni fait le moindre semblant de s'en souvenir,
ni l'une ni l'autre; mais de présumer que madame de Luxembourg ait
pu l'oublier réellement, c'est ce qui me paraît bien difficile,
quand même on ne saurait rien des événements subséquents. Pour moi,
je m'étourdissais sur l'effet de mes bêtises, par le témoignage que
je me rendais de n'en avoir fait aucune à dessein de l'offenser:
comme si jamais femme en pouvait pardonner de pareilles, même avec
la plus parfaite certitude que la volonté n'y a pas eu la moindre
part.
    Cependant, quoiqu'elle parût ne rien voir, ne rien sentir, et
que je ne trouvasse encore ni diminution dans son empressement, ni
changement dans ses manières, la continuation, l'augmentation même
d'un pressentiment trop bien fondé, me faisait trembler sans cesse
que l'ennui ne succédât bientôt à cet engouement. Pouvais-je
attendre d'une si grande dame une constance à l'épreuve de mon peu
d'adresse à la soutenir? Je ne savais pas même lui cacher ce
pressentiment sourd qui m'inquiétait, et ne me rendait que plus
maussade. On en jugera par la lettre suivante, qui contient une
bien singulière prédiction.
    N. B. Cette lettre, sans date dans mon brouillon, est du mois
d'octobre 1760, au plus tard.
    "Que vos bontés sont cruelles! Pourquoi troubler la paix d'un
solitaire, qui renonçait aux plaisirs de la vie pour n'en plus
sentir les ennuis? J'ai passé mes jours à chercher en vain des
attachements solides; je n'en ai pu former dans les conditions
auxquelles je pouvais atteindre: est-ce dans la vôtre que j'en dois
chercher? L'ambition ni l'intérêt ne me tentent pas; je suis peu
vain, peu craintif; je puis résister à tout, hors aux caresses.
Pourquoi m'attaquez-vous tous deux par un faible qu'il faut
vaincre, puisque, dans la distance qui nous sépare, les
épanchements des cœurs sensibles ne doivent pas rapprocher le mien
de vous? La reconnaissance suffira-t-elle pour un cœur qui ne
connaît pas deux manières de se donner, et ne se sent capable que
d'amitié? D'amitié madame la maréchale? Ah! voilà mon malheur! Il
est beau à vous, à monsieur le maréchal, d'employer ce terme; mais
je suis insensé de vous prendre au mot. Vous vous jouez, moi je
m'attache; et la fin du jeu me prépare de nouveaux regrets. Que je
hais tous vos titres, et que je vous plains de les porter! Vous me
semblez si dignes de goûter les charmes de la vie privée! Que
n'habitez-vous Clarens! J'irais y chercher le bonheur de ma vie.
Mais le château de Montmorency, mais l'hôtel de Luxembourg! Est-ce
là qu'on doit voir Jean-Jacques? Est-ce là qu'un ami de l'égalité
doit porter les affections d'un cœur sensible qui, payant ainsi
l'estime qu'on lui témoigne, croit rendre autant qu'il reçoit? Vous
êtes bonne et sensible aussi, je le sais, je l'ai vu, j'ai regret
de n'avoir pu plus tôt le croire; mais dans le rang où vous êtes,
dans votre manière de vivre, rien ne peut faire une impression
durable; et tant d'objets nouveaux s'effacent si bien mutuellement,
qu'aucun ne demeure. Vous m'oublierez, madame, après m'avoir mis
hors d'état de vous imiter. Vous aurez beaucoup fait pour me rendre
malheureux, et pour être inexcusable."
    Je lui joignais là M. de Luxembourg, afin de rendre le
compliment moins dur pour elle; car, au reste, je me sentais si sûr
de lui, qu'il ne m'était pas même venu dans l'esprit une seule
crainte sur la durée de son amitié. Rien de ce qui

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