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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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pas
repoussante, mais qui m'intimidait sans que je susse pourquoi.
Quoique je ne me sentisse pas pour elle ce respect aussi vrai que
tendre que j'avais pour madame de Warens, je me sentais plus de
crainte et bien moins de familiarité. J'étais embarrassé,
tremblant; je n'osais la regarder, je n'osais respirer auprès
d'elle; cependant je craignais plus que la mort de m'en éloigner.
Je dévorais d'un oeil avide tout ce que je pouvais regarder sans
être aperçu, les fleurs de sa robe, le bout de son joli pied,
l'intervalle d'un bras ferme et blanc qui paraissait entre son gant
et sa manchette, et celui qui se faisait quelquefois entre son tour
de gorge et son mouchoir. Chaque objet ajoutait à l'impression des
autres. A force de regarder ce que je pouvais voir et même au delà,
mes yeux se troublaient, ma poitrine s'oppressait; ma respiration,
d'instant en instant plus embarrassée, me donnait beaucoup de peine
à gouverner, et tout ce que je pouvais faire était de filer sans
bruit des soupirs fort incommodes dans le silence où nous étions
assez souvent. Heureusement madame Basile, occupée à son ouvrage,
ne s'en apercevait pas, à ce qu'il me semblait. Cependant je voyais
quelquefois, par une sorte de sympathie, son fichu se renfler assez
fréquemment. Ce dangereux spectacle achevait de me perdre; et quand
j'étais prêt à céder à mon transport, elle m'adressait quelque mot
d'un ton tranquille, qui me faisait rentrer en moi-même à
l'instant.
    Je la vis plusieurs fois seule de cette manière, sans que jamais
un mot, un geste, un regard même trop expressif, marquât entre nous
la moindre intelligence. Cet état, très tourmentant pour moi,
faisait cependant mes délices, et à peine dans la simplicité de mon
cœur pouvais-je imaginer pourquoi j'étais si tourmenté. Il
paraissait que ces petits tête-à-tête ne lui déplaisaient pas non
plus, du moins elle en rendait les occasions assez fréquentes; soin
bien gratuit assurément de sa part, pour l'usage qu'elle en faisait
et qu'elle m'en laissait faire.
    Un jour qu'ennuyée des sots colloques du commis, elle avait
monté dans sa chambre, je me hâtai, dans l'arrière-boutique où
j'étais, d'achever ma petite tâche, et je la suivis. Sa chambre
était entr'ouverte; j'y entrai sans être aperçu. Elle brodait près
d'une fenêtre, ayant en face le côté de la chambre opposé à la
porte. Elle ne pouvait me voir entrer ni m'entendre, à cause du
bruit que des chariots faisaient dans la rue. Elle se mettait
toujours bien: ce jour-là sa parure approchait de la coquetterie.
Son attitude était gracieuse; sa tête un peu baissée laissait voir
la blancheur de son cou; ses cheveux, relevés avec élégance,
étaient ornés de fleurs. Il régnait dans toute sa figure un charme
que j'eus le temps de considérer, et qui me mit hors de moi. Je me
jetai à genoux à l'entrée de la chambre, en tendant les bras vers
elle d'un mouvement passionné, bien sûr qu'elle ne pouvait
m'entendre, et ne pensant pas qu'elle pût me voir: mais il y avait
à la cheminée une glace qui me trahit. Je ne sais quel effet ce
transport fit sur elle: elle ne me regarda point, ne me parla
point; mais tournant à demi la tête, d'un simple mouvement de doigt
elle me montra la natte à ses pieds. Tressaillir, pousser un cri,
m'élancer à la place qu'elle m'avait marquée ne fut pour moi qu'une
même chose: mais ce qu'on aurait peine à croire est que dans cet
état je n'osai rien entreprendre au delà, ni dire un seul mot, ni
lever les yeux sur elle, ni la toucher même, dans une attitude
aussi contrainte, pour m'appuyer un instant sur ses genoux. J'étais
muet, immobile, mais non pas tranquille assurément: tout marquait
en moi l'agitation, la joie, la reconnaissance, les ardents désirs
incertains dans leur objet, et contenus par la frayeur de déplaire,
sur laquelle mon jeune cœur ne pouvait se rassurer.
    Elle ne paraissait ni plus tranquille ni moins timide que moi.
Troublée de me voir là, interdite de m'y avoir attiré, et
commençant à sentir toute la conséquence d'un signe parti sans
doute avant la réflexion, elle ne m'accueillait ni ne me
repoussait; elle n'ôtait pas les yeux de dessus son ouvrage, elle
tâchait de faire comme si elle ne m'eût pas vu à ses pieds: mais
toute ma bêtise ne m'empêchait pas de juger qu'elle partageait mon
embarras, peut-être mes désirs, et qu'elle était retenue par une
honte semblable à la mienne, sans que cela me donnât la force de

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