Les Conjurés De Pierre
permis à ses poursuivants de retrouver sa trace ? Avait-elle accepté un peu trop naïvement cette sympathie soudaine du plénipotentiaire et de son épouse ? N’était-ce que de la manipulation ? Elle n’y croyait pas vraiment. Dans ce cas, donna Lucrezia ne lui aurait pas offert la précieuse bague qu’elle portait désormais suspendue à son cou par un lacet de cuir.
Il faisait déjà presque nuit lorsqu’Afra s’engagea à tâtons dans le sombre couloir vers la sortie. Frère Maurus ne lui avait pas donné de lanterne au moment où il l’avait invitée à sortir de la bibliothèque, non pas invitée, plutôt flanquée à la porte. Il n’avait pas exercé de violences physiques.
Il suffit parfois de quelques gestes persuasifs pour faire comprendre à quelqu’un ce qu’il doit faire.
Afra descendit l’escalier, sommairement remis dans son état d’origine, mais au demeurant dangereux, puis elle parvint au cloître et retrouva la porte d’entrée qui était, hélas, déjà close et la guérite du frère portier vide.
Elle arrivait trop tard : dans l’abbatiale résonnaient déjà les voix des moines chantant complies. Même si ces litanies ne louent jamais les joies de la vie terrestre, ce soir-là, Afra trouva ces récitatifs, s’élevant plaintivement comme les lamentations des damnés en enfer, particulièrement inquiétants.
Afra était consternée à l’idée de passer la nuit enfermée dans le couvent. Seul frère Jean pouvait lui venir en aide. Elle se rendit donc dans le bâtiment d’en face et chercha l’entrée de la cave.
Ce fut plus vite dit que fait, car si l’ensemble des bâtiments, vu de l’extérieur, avait l’allure d’une gigantesque forteresse, que dire alors de l’intérieur impressionnant par ces murailles imbriquées les unes dans les autres auxquelles s’ajoutaient les murs écroulés de-ci de-là et les travaux anarchiques de rénovations ! Afra ouvrit au moins une douzaine de portes donnant sur des pièces sombres et abandonnées d’où s’échappaient des odeurs nauséabondes.
La plupart servaient de débarras pour les barriques, les cuves et les vieux outils. Elle aperçut aussi un atelier de sculpteur. Plus elle entra dans une pièce à l’odeur intenable, où les moines effectuaient leurs besoins assis sur un long banc percé de neuf trous donnant directement sur l’extérieur. Elle avisa une lanterne suspendue au mur, la seule qu’elle ait trouvée dans ces lieux complètement obscurs.
La lumière lui permit de s’orienter et de trouver un escalier menant au premier étage. Arrivée sur un palier, elle découvrit un autre escalier qui descendait cette fois dans les caves. Elle le prit et parvint dans une grande salle basse de plafond ressemblant à la crypte d’une cathédrale. Des colonnes trapues soutenaient une voûte en ogive qui n’avait pas souffert des tremblements de terre. À la lueur de la chandelle, les colonnes projetaient sur les dalles de larges ombres.
— Qui va là ? entendit-elle dans son dos. Elle se retourna.
Frère Jean surgit de l’ombre.
— Ah, c’est vous, jeune Elia !
— La porte du porche était fermée et le frère portier est aux complies. Je me suis attardée beaucoup trop longtemps dans la bibliothèque.
— C’est bien possible. Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?
— Qu’est-ce à dire « trouvé » ? Je suis à la recherche de livres rares qui pourraient être copiés et envoyés à la bibliothèque du comte de Württemberg.
— Et vous avez trouvé votre bonheur ?
— Tout à fait. Mais je ne sais comment regagner l’hostellerie maintenant. Pouvez-vous m’aider, frère Jean ?
Le moine se montra compréhensif.
— Il faut attendre la fin des complies. Mais vous grelottez ! Venez !
Au fond de la salle basse et voûtée se trouvait un petit couloir menant au laboratoire.
— Baissez la tête ! l’avertit frère Jean en posant ses deux mains sur les épaules d’Afra.
C’est quasiment pliés en deux qu’ils pénétrèrent dans le laboratoire.
— Pourquoi diable la porte de votre laboratoire est-elle si basse ? lui demanda Afra en se redressant.
— Pourquoi ? L’alchimiste eut un sourire malicieux. Quiconque pénétrant ce lieu s’incline devant les conquêtes de l’alchimie.
— Effectivement, dit Afra en promenant son regard dans le laboratoire.
Elle se souvenait parfaitement de l’ermitage de l’alchimiste Rubaldus aux portes d’Ulm. Comparé au
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