Les Conjurés De Pierre
puis me permettre. Le chrétien lambda ne connaît pas les préparations nécessaires à faire disparaître une écriture et à la faire réapparaître si besoin est.
— Vous avez hélas raison, jeune Elia. L’alchimie compte plus de charlatans que n’importe quelle autre discipline. De nos jours, notre science tourne à la farce et à l’attraction lucrative sur les foires.
— Je n’arrive pas à comprendre cette histoire d’encre, poursuivit Afra avec un air faussement détaché.
— Faites-moi confiance, c’est extrêmement simple. Demain, je vous montrerai comment on révèle un message inscrit sur un parchemin apparemment vierge de toute écriture.
— Vous me le montrerez vraiment, frère Jean ?
— Rien de plus facile. Tout bon alchimiste a toujours en réserve la solution qui rend visible l’encre sympathique. Cette aqua prodigii , est ridiculement simple à préparer.
— Aqua prodigii , dites-vous ?
— Oui, c’est comme cela qu’on l’appelle. Il n’y a pas une once de sorcellerie là-dedans, il s’agit plutôt d’une vulgaire recette.
Frère Jean prit sur une étagère un livre qu’il feuilleta.
Afra eut le souffle coupé en lisant le titre : Alchimia Universalis . Frère Dominique lui avait montré le même livre à Strasbourg.
— Je vais préparer la solution pour demain, dit-il.
— Je suis impatient de voir cela ! s’exclama Afra avec enthousiasme.
Frère Jean parut étonné :
— Si vous vous intéressez à ce que je fais, je peux vous montrer bien d’autres expériences. Mais pas ce soir, car je suis en train d’effectuer des travaux qui plongent l’alchimiste averti que je suis dans les affres de l’inquiétude.
— A-t-on le droit de savoir de quoi il s’agit ?
Frère Jean se détourna, mais cédant à la vanité légitime qui s’empare de tout homme, y compris d’un bénédictin, quand on lui témoigne de l’intérêt, il lui répondit d’une voix grave :
— Je vous fais confiance pour n’en parler à personne. Venez !
Il emmena Afra vers une porte ressemblant à celle d’une armoire qui s’ouvrait sur une petite pièce carrée. Lorsque le moine alluma les lampes à huile suspendues aux murs, Afra découvrit une multitude de pots en terre portant de petites étiquettes où figuraient des mots en latin, des outils, des alambics en verre aux formes bizarroïdes, des fioles remplies de liquide de toutes les couleurs. L’endroit lui rappelait l’antre de Rubaldus, il y régnait une atmosphère inquiétante et angoissante.
Frère Jean remarquant les yeux effarés d’Afra, posa sa main sur son bras et lui lança un regard langoureux.
Afra ressentit un trouble qu’elle aurait dû s’interdire d’éprouver vis-à-vis d’un moine, surtout lorsqu’on est censé être un homme.
Déjà en montant vers l’abbaye, elle avait remarqué les regards alanguis qu’il lui lançait. Non qu’elle éprouvât une quelconque aversion à son égard mais, dans la situation actuelle, elle devait repousser les avances du bénédictin. Afra s’écarta de lui avec détermination en essayant de ne pas le froisser pour autant.Frère Jean parut surpris, mais moins sans doute par la réaction d’Afra que par cette attirance inquiétante qu’il ressentait à son égard.
— Voilà le cadre de travail d’un moine qui se consacre à la recherche de la pierre philosophale. Et ceci dit entre nous, je suis proche du but.
— La pierre philosophale ?
Afra en avait déjà entendu parler. Mais personne, pas même son père, n’avait pu lui expliquer de quoi il s’agissait.
— La pierre philosophale, mais cela ne signifie rien pour un chrétien non initié à l’alchimie !
Frère Jean, les sourcils froncés, esquissa un sourire condescendant.
— La pierre philosophale est, en dépit du nom qu’elle porte, tout sauf une pierre ou une pierre précieuse, mais plus vraisemblablement une poudre qui pourrait être obtenue à partir de métaux « vils » comme le cuivre, le fer et le mercure transformés en or. Donc, logiquement, celui qui découvrira la pierre philosophale deviendra riche.
— Et, vous aimeriez être riche, frère Jean ? Mais, sauf erreur de ma part, la règle de l’ordre des bénédictins place la pauvreté au-dessus de toutes les autres vertus ?
— Vous avez raison, jeune Elia. Mais je ne cherche pas à m’enrichir en effectuant ces expériences, voyez-vous, pour moi, la recherche est un but en soi,
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