Les Conjurés De Pierre

capharnaüm de Rubaldus, le laboratoire de frère Jean semblait très sobre avec son ameublement spartiate. En revanche, les armoires murales avec les portes et les tiroirs dûment étiquetés et les étagères croulant sous les livres donnaient une idée des moyens importants dont le bénédictin, contrairement à Rubaldus, disposait pour ses travaux.
    Un grand miroir étroit, posé sur un lutrin en bois, attira l’attention d’Afra. Elle s’avança et regarda avec satisfaction l’image qu’il lui renvoyait. C’était la première fois qu’elle se voyait habillée en homme.
    Au milieu de la pièce aux murs aveugles, il y avait une table hexagonale avec une cuve de verre, d’une aune de diamètre, remplie au trois quarts d’eau au fond de laquelle elle aperçut une masse informe, et, à côté de la cuve, une Bible ouverte.
    Frère Jean remarqua le regard intrigué d’Afra.
    — Je tente d’expliquer les miracles de notre Seigneur Jésus Christ à la lumière des connaissances de l’alchimie. Vous comprenez ce que je veux dire ? lui dit-il non sans une certaine fierté.
    — Absolument pas, répliqua Afra. Vous voulez dire que notre Seigneur Jésus Christ n’aurait pas accompli de miracles ?
    — Mais si bien sûr. C’est ce que je tente de prouver.
    Afra s’approcha de la cuve de verre et recula épouvantée.
    — Iiiih, mais c’est un rat mort ! s’écria-t-elle en détournant les yeux.
    — Vous n’êtes pas une fillette, vous n’avez tout de même pas peur d’un malheureux rat.
    — Non, répondit Afra, bien que l’animal lui inspirât le plus grand dégoût. Mais, je ne comprends pas le rapport entre le rat et les miracles de notre Seigneur Jésus Christ.
    — Si cela vous intéresse, je peux vous l’expliquer. Vous vous souvenez de ce passage de l’Évangile de saint Matthieu où il est dit que Jésus marcha sur les eaux du lac de Génésareth ?
    — Oui, la Bible nous raconte le miracle de Jésus marchant sur les eaux.
    — Eh bien ! Elle se trompe. Dieu n’a pas eu besoin d’accomplir un miracle pour marcher sur les eaux puisqu’il est naturellement capable de le faire. Dans Matthieu (14, 28) il est dit que les disciples, voyant Jésus marcher sur les eaux, eurent peur. Pierre lui cria alors : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l’eau. » Là-dessus, Jésus dit à Pierre qui ne savait pas nager, comme beaucoup d’hommes : « Viens ! » Et Pierre, confiant, a marché sur l’eau pour rejoindre Jésus. Voilà le miracle. Car Pierre aurait dû se noyer dans les eaux du lac comme ce rat.
    — Pardonnez-moi, frère Jean, mais quel est le rapport entre Pierre et le rat mort ?
    — Regardez !
    L’alchimiste prit dans une armoire une coupelle contenant des petits grains translucides. Il se pencha au-dessus de la cuve en regardant le rat au fond. Puis il dit avec une lueur diabolique dans le regard :
    — Le rat a coulé parce que je l’ai fait couler. Il aurait pu ne pas se noyer.
    En disant cela, frère Jean jeta dans la cuve une poignée de grains. Il ne se passa rien. Mais quelque temps après, le rat remonta à la surface, comme attiré par une mystérieuse force.
    — Mais, c’est un miracle ! s’écria Afra fascinée. Vous êtes un magicien.
    — Non, il n’y a pas de magie là-dedans. L’alchimiste tempéra l’enthousiasme d’Afra. C’est un miracle de l’alchimie. Ce que la plupart des hommes considèrent comme un miracle n’est en fait que la mise en application d’un savoir spécifique. Dieu, étant omniscient, il peut accomplir des miracles. Cette simple expérience le prouve et démontre l’ignorance de l’incrédule.
    — Vous pouvez donc certainement lire les écrits qui restent invisibles aux yeux du commun des mortels ! répliqua Afra qui ne perdait pas de vue son but.
    L’alchimiste leva les yeux.
    —  Pourquoi me demandez-vous cela ?
    — J’ai entendu parler de cette encre mystérieuse qui disparaît et réapparaît de manière étrange.
    Frère Jean hocha la tête en signe d’assentiment.
    — La cryptographie est un des domaines de prédilection des sciences occultes. Mais l’écriture à l’encre sympathique ne relève pas de la science. En vérité, la cryptographie n’est rien d’autre que l’utilisation d’éléments de l’alchimie à des fins détournées. Il n’y a que les charlatans qui ont recours à la magie noire.
    — Essentiellement les alchimistes, si je