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Les Conjurés De Pierre

Les Conjurés De Pierre

Titel: Les Conjurés De Pierre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philipp Vandenberg
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pas le supporter. J’ai beau savoir que j’enfreins le premier commandement, je ne peux pas m’en empêcher. Il est fourbe comme le serpent. Sa science génère l’impiété sur terre. Où l’avez-vous rencontré, jeune Elia – c’est bien votre nom n’est-ce pas ?
    — T out à fait. J’ai rencontré frère Jean par hasard sur la route en venant ici.
    Afra eut l’impression que le bibliothécaire la transperçait du regard. Les yeux mi-clos, il la dévisagea de la tête aux pieds. Afra craint un instant que son accoutrement n’éveille ses soupçons.
    — Jeune Elia, reprit-il, songeur, comme si son nom lui rappelait quelque chose. Comment va votre père ? demanda-t-il soudain, il ne doit plus être tout jeune ?
    — Mon père est mort depuis longtemps. Il a fait une chute de cheval.
    — Que Dieu lui accorde le repos éternel.
    Après un instant de réflexion, il poursuivit :
    — Et vous avez repris son travail, jeune homme ?
    Frère Maurus venait de lui suggérer une réponse qui incita Afra à changer de tactique au dernier moment.
    — Oui, affirma-t-elle, je suis moi-même bibliothécaire, un peu jeune dans la profession et manquant d’expérience dans ce domaine qui en requiert tant. Mais comme vous le savez, à la différence des théologiens, des médecins et des mathématiciens dont la profession nécessite de longues études, notre expérience s’acquiert dans la fréquentation régulière des livres qui transforme peu à peu l’ignare en un bibliothécaire averti. C’était en tout cas l’avis de mon père.
    — Voilà des paroles avisées, jeune Elia. Vous venez donc ici parfaire vos connaissances.
    — Exactement. Mon père parlait souvent de vous. Il admirait vos talents. « Si quelqu’un peut t’apprendre quelque chose, c’est frère Maurus de l’abbaye du Mont-Cassin », disait-il.
    Le vieil homme partit d’un grand éclat de rire cynique si peu naturel et si outrancier qu’il faillit presque s’en étouffer. Il finit par se calmer.
    — Quel pharisien vous faites, quel pharisien, jeune Elia ! dit-il à Afra d’une voix enrouée. Vous ne cherchez qu’à m’embobiner avec vos paroles obséquieuses. Que cherchez-vous à obtenir ? Jamais, au grand jamais, votre père n’a pu dire une chose pareille. Votre père, admettons-le, était un homme intelligent, mais un fieffé roué. Pour quelques malheureux ducats, il m’a extorqué des livres prétendument sans valeur en m’assurant que nous les avions déjà en double ou en triple exemplaire dans nos rayonnages. Je l’ai cru et je l’ai laissé se servir.
    Ces ducats étaient les bienvenus après le tremblement de terre que l’abbaye venait de subir. Les moines n’avaient plus de toit au-dessus de leur tête et nos livres subissaient en toutes saisons les assauts des intempéries. Durant des années, la neige est tombée sur nos collections séculaires. L’abbé Alexis donna l’ordre de vendre les livres dont l’abbaye pouvait se passer. Il disait à raison que ces trésors de civilisation, une fois dévorés par l’humidité et la moisissure jusqu’à la reliure, ne serviraient plus à personne. Les aléas du hasard et mon manque d’expérience favorisèrent l’entreprise de votre père. Ce n’est qu’une fois la bibliothèque réinstallée convenablement, des années plus tard, que je compris, en consultant l’inventaire dressé par votre père, qu’il s’était emparé des ouvrages les plus intéressants de notre fond. J’ai donc du mal à croire aujourd’hui qu’il ait vanté hier mes capacités.
    — Croyez-moi, c’est la vérité !
    Frère Maurus leva les deux mains comme s’il allait dire :
    —  ç a suffit ! Cessez de me raconter des sornettes. Mais au lieu de cela, il se tut.
    Le ton du bibliothécaire avait attiré l’attention des moines archivistes, copistes, enlumineurs et magasi niers qui travaillaient dans les allées enchevêtrées de la bibliothèque.
    Afra avait à peine le temps de les voir car, dès qu’elle jetait un regard à droite ou à gauche, les visages des curieux se cachaient aussitôt derrière les rayonnages, comme des renards disparaissant dans leur tanière.
    Afra renoua le fil de la conversation :
    — Si vous le permettez, j’aimerais passer quelques jours ici pour consulter vos livres, rechercher les ouvrages dont les copies pourraient enrichir notre bibliothèque et observer vos méthodes d’archivage et de classement. Je vous en prie,

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