Les Conjurés De Pierre
quoique… – le moine un peu honteux ricana – … quoiqu’un peu d’argent ne nuirait pas aux pauvres bénédictins.
— Et vous seriez sur le point de découvrir la pierre philosophale ?
— Pour être honnête, je dois vous dire que j’ai trouvé dans notre bibliothèque voici quelques jours la copie d’un livre qu’un franciscain, alchimiste comme moi, avait écrit à l’abbaye d’Aurillac, en France, il y a environ un siècle. Son titre De confeditione veri Lapidis [14] a attiré mon attention alors que je n’avais jamais entendu parler de ce Jean de Rupecissa, c’est le nom de l’auteur. Frère Maurus, le bibliothécaire, un des plus grands cerveaux qui soient au Mont-Cassin, savait juste que ses découvertes lui avaient valu de se brouiller avec le pape. Ses écrits furent interdits, et frère Rupecissa, accusé d’hérésie, fut brûlé sur le bûcher en Avignon.
— Frère Jean, vous vous servez pour vos recherches de ces écrits hérétiques ?
L’alchimiste lança un regard hautain à Afra. Puis il sortit d’un tiroir un petit livre en mauvais état, si petit qu’on pouvait le cacher sans peine à l’intérieur d’une manche.
La reliure en parchemin était toute gondolée, comme si elle avait souffert du poids des mots qu’elle contenait. Ils entendirent subitement un bruit de porte qui claque venant du laboratoire. L’alchimiste alla voir et revint sans avoir trouvé ce qui avait provoqué ce bruit, puis il ouvrit l’opuscule du franciscain.
— J’ai lu chaque ligne de ce livre sans pouvoir y découvrir la moindre pensée hérétique. En revanche, à la page 144, à côté des nombreuses explications théoriques sur la pierre philosophale, figure une rubrique portant le titre : Quintessence de l’antimoine .
Je vous la lis : Moudre la pierre cassante, l’antimoine, jusqu’à la réduire en une fine poudre. Disperser cette poudre dans du vinaigre distillé et attendre que le liquide prenne une teinte rouge. Filtrer le liquide, en répétant le processus jusqu’à ce que le vinaigre soit transparent. Distiller le vinaigre enrichi. Puis observer dans le col de l’alambic l’œuvre au rouge s’accomplir : les gouttes rouge sang de l’antimoine translucide formeront des milliers de filaments. Conserver ce liquide précieusement dans un récipient car il est plus précieux que tous les trésors du monde. C’est le Grand Œuvre. »
— Et vous avez déjà fait cette expérience ?
— Non pas encore, mais je compte sur le soutien de notre Seigneur pour m’aider à la réaliser dès aujourd’hui.
— Frère Jean, je vous souhaite bonne chance. Mais auparavant, pourriez-vous me faire sortir ?
Le bénédictin passa la main sur son visage et répondit :
— Pour ce soir, les portes sont définitivement fermées. Mais je possède une clavis mirabilis , une clef miraculeuse qui ouvre toutes les portes. Il suffit juste d’être discret.
— Si vous me faites confiance, fit Afra, bravant légèrement le moine, vous pouvez me laisser la clef et poursuivre tranquillement vos travaux. Je vous la rapporterai demain.
L’alchimiste accepta sans difficulté. Il lui tendit de bon cœur la clavis mirabilis qui n’avait en commun avec les clefs habituelles que l’anneau destiné à la saisir. Au bout de la tige, à l’endroit du panneton, il y avait, en guise de râteau, des fils de fer.
Afra connaissait désormais le chemin pour ressortir. En traversant le cloître, elle se ravisa brusquement et repartit en sens inverse et gravit l’escalier en colimaçon.
Une fois arrivée à la bibliothèque, elle colla l’oreille contre la porte, et n’entendant aucun bruit suspect, elle introduit la clavis mirabilis dans la serrure et lui donna un tour sur la gauche.
Il y eut un grincement comme si la serrure était pleine de sable, puis un « clac », et la porte s’ouvrit.
Elle était déterminée à trouver le livre contenant le parchemin, dût-elle y passer la nuit entière. Elle ne changerait pas d’avis. Mais par où devait-elle commencer ses recherches ?
Durant la journée, elle s’était toujours sentie observée et n’avait pu mener à bien ses investigations assez peu méthodiques. Fût-elle par hasard tombée sur le Compendium theologicae veritatis qu’elle n’aurait pu, au su et au vu de tous, s’emparer du parchemin.
L’attitude du bibliothécaire ne cessait de la préoccuper : pour quelles raisons avait-il nié le passage de
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