Les Conjurés De Pierre
Benoît et sa vertueuse sœur Scholastique, je suis moine ! Que Dieu me punisse si je ne dis pas la vérité !
— Frère Jean, je ne saisis pas vos allusions...
— Vous n’avez pas besoin de les comprendre, jeune Elia, en tout cas, pas pour l’instant.
— Ne pourriez-vous pas être plus clair ?
Comme ils approchaient de l’entrée, le moine alchimiste sortit sa main droite de sa manche et posa l’index sur ses lèvres pour lui faire signe de se taire. Afra fut étonnée de découvrir sous le porche deux portes d’entrée. L’une ouverte, celle de droite menait à droite tandis que l’autre fermée, celle de gauche, menait à gauche. Frère Jean désigna la droite. Il passa devant le frère portier à la tonsure impeccable, qui les observa d’un œil méfiant à travers un petit oculus.
Ils traversèrent un cloître qui n’en avait plus que le nom, la voûte, les arcades et les colonnes étant en partie effondrées. Des linteaux de pierre attendaient entassés là une future utilisation.
Au bout du cloître, dans un angle à droite, ils s’engouffrèrent sous une étroite porte s’ouvrant sur un petit escalier en colimaçon.
Ils gravirent plusieurs marches pour accéder à l’étage supérieur d’où l’on pouvait apercevoir la cour intérieure de l’abbaye.
Afra remarqua aussitôt un mur infranchissable, qui partageait en deux parties l’abbaye et zigzaguait à travers l’ensemble des bâtiments comme le fleuve Méandre traverse en sinuant l’Asie Mineure.
Avant même qu’Afra ait pu demander à quoi servait ce mur, frère Jean l’avait saisie par la manche et l’entraînait plus loin comme s’il fallait faire vite. Afra grelottait. La fraîcheur automnale n’y était pour rien. Elle frissonnait à la vue de ces bâtiments en ruine et de ces éboulements de pierres.
Contrairement à l’architecture des cathédrales au nord des Alpes qui élève l’âme et parvient à émouvoir même le cœur d’un incroyant, elle trouvait l’atmosphère de cette abbaye délabrée angoissante et oppressante.
Ils marchèrent vite et sans dire un mot jusqu’à l’entrée de la bibliothèque. Le linteau de pierre surmontant la grande porte en bois sombre portait l’inscription SAPERE AUDE . Le moine, remarquant le visage désappointé d’Afra, lui traduisit l’inscription :
— Aie le courage de te servir de ton propre entendement , une des phrases les plus intelligentes qu’ait prononcées le poète Horace.
Après avoir frappé trois fois à la porte, un bibliothécaire barbu au visage soucieux leur ouvrit avant de disparaître, sans dire un mot, dans l’air confiné de ce lieu où s’alignaient des étagères à perte de vue.
— Frère Maurus ! chuchota le moine alchimiste à l’oreille d’Afra. Il a un comportement étrange, comme tous ceux qui passent leur vie au milieu des livres.
L’instant d’après, ils entendirent des pas venant du fond de la bibliothèque.
Le bibliothécaire, tel un fantôme, surgit avec un air renfrogné du labyrinthe des rayonnages. En le voyant, une question vint tout de suite à l’esprit d’Afra : pourquoi les bibliothécaires avaient-ils l’air toujours si vieux et si préoccupés ? Son père prétendait pourtant que la fréquentation des livres lui avait permis de rester jeune et qu’elle l’avait rendu heureux. Fort de son expérience personnelle, il lui avait appris à lire et à écrire.
— Je m’appelle Elia, je suis le fils du bibliothécaire du comte de Württemberg.
Elle s’attendait à ce que frère Maurus soit aussi désagréable avec elle qu’il ne l’avait été avec le moine alchimiste lorsqu’à sa plus grande surprise, elle vit ses traits se détendre subitement. Avec un peu d’imagination, on eut presque cru qu’il souriait.
— Je me souviens parfaitement du bibliothécaire du comte ! lui répondit-il d’une voix enrouée. Un grand homme à l’allure imposante, un homme très cultivé qui avait incontestablement beaucoup de goût.
Il fit une pause et jeta un regard malveillant à frère Jean qu’il semblait ne pas apprécier. C’était d’ailleurs le cas.Frère Jean prit immédiatement congé. En partant, il se tourna vers Afra :
— Si vous avez besoin de moi, vous me trouverez dans le bâtiment d’en face dans les caves où se trouve le laboratoire.
Dès que la lourde porte en chêne se fut refermée, le bibliothécaire déversa son ressentiment :
— Je ne l’aime pas, je ne peux
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