Les Conjurés De Pierre
chemins différents. Adieu !
— Adieu !
Afra était bouleversée. Cet adieu si brusque la laissa sans voix. Elle sentit sa gorge se nouer. Était-ce un adieu définitif ? Désemparée par cette subite séparation, elle regarda Ulrich s’éloigner et disparaître rapidement à travers la cohue dans une rue perpendiculaire. Bouleversée, elle prit le chemin du retour en changeant volontairement d’itinéraire pour être sûre de semer d’éventuels poursuivants. Elle pensait à Ulrich. Elle regrettait d’avoir été aussi injuste à son égard. Elle avait placé sans doute beaucoup trop d’espoir dans ces retrouvailles. Peut-être était-ce déjà trop tard ?
Deux hommes l’attendaient sur le seuil de la maison dans la rue du marché aux poissons. Elle était certaine de reconnaître un de ceux qui les avaient observés tout à l’heure près de la tour de la porte du Rhin.
Il s’agissait d’Armandus Villanovus.
— Pardonnez-moi, je ne voudrais pas vous importuner, lui dit-il sans détour, mais je ne cesse de repenser à ce que vous m’avez dit, veuve Gysela !
Afra tressaillit. Sa façon de prononcer son nom ne lui disait rien qui vaille.
— Je crois vous avoir pourtant dit tout ce qui pouvait vous être utile, répondit-elle presque avec insolence.
— Certes, certes ! Mais plus j’y repense, plus je doute que le parchemin ait disparu avec la jeune Afra. D’après les renseignements que j’ai sur cette personne, c’était une femme intelligente et fine. Elle connaissait le latin, ce qui n’avait pas manqué de provoquer la jalousie d’une certaine abbesse autrefois. Je n’imagine pas qu’elle puisse avoir caché dans ses vêtements un document de si grande valeur, comme s’il ne s’était agi que d’une lettre d’indulgence valant une couronne. Qu’en pensez-vous, veuve Gysela ?
En l’entendant, Afra s’inquiéta et frissonna. La première idée qui lui vint fut de s’enfuir en courant, mais elle se ravisa aussitôt pensant qu’elle ne ferait qu’éveiller les soupçons.
Mieux valait qu’elle garde son sang-froid. Tandis que l’autre homme la regardait comme si elle était une marchandise sur l’étal d’un marché, elle répondit :
— Vous avez sans doute raison, maître Armandus. Si je vous comprends bien, vous supposez que le parchemin puisse être encore à Venise ?
— C’est parfaitement possible. Il se peut aussi qu’Afra ait confié avant de mourir le parchemin à quelqu’un.
Armandus transperça Afra du regard.
— Imagineriez-vous que j’ai le parchemin en ma possession ? rétorqua-t-elle avec un sourire feint. Vous me flattez en m’attribuant tant de ruse. Mais j’avoue franchement que je ne vois pas ce que je pourrais en faire.
— Je n’ai jamais envisagé cette éventualité, non, c’est ridicule, répliqua l’apostat. En revanche, je peux imaginer qu’elle ait fait allusion devant vous à une personne de confiance. Essayez de vous souvenir !
— Pas que je sache, répliqua Afra en faisant mine de réfléchir.
— Il y aurait bien cet architecte, Ulrich von Ensingen, commença Armandus Villanovus avec un sourire entendu. Ces deux-là vivaient comme mari et femme à Strasbourg, dans le péché…
— Très juste – elle a parlé de lui pendant le voyage. Mais d’après elle, ils avaient mis un terme à leur relation pour de multiples raisons. Afra ne parlait pas beaucoup de sa vie privée.
Afra tremblait intérieurement. Devait-elle lui dire qu’elle venait de rencontrer Ulrich von Ensingen ? Armandus l’avait-il reconnue tout à l’heure ?
— Vous devriez y réfléchir sérieusement ! La voix de l’apostat avait pris un ton ambigu. Ce serait dommage qu’il vous arrive des ennuis.
La tête baissée, Afra feignit de passer en revue le déroulement du voyage jusqu’à Venise, feignit seulement car elle avait l’esprit vide.
Ne sachant pas quelle tactique adopter, elle répondit après un moment :
— Je suis désolée, maître Armandus, mais je ne vois rien qui puisse vous éclairer.
— C’est extrêmement regrettable.
Afra sentit immédiatement la menace implicite.
— Cela va vous revenir, j’en suis sûr. Faites un effort, faute de quoi…
L’apostat ne termina pas sa phrase. Mais Afra sentait vraiment le danger qui pesait sur elle.
Après avoir esquissé un vague salut, les deux hommes firent volte-face et disparurent sans dire un mot dans la foule.
À quelques pas de là, Armandus
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