Les Conjurés De Pierre
eu de surprenant puisque l’ é glise avait été édifiée par des hommes.
Afra s’éloigna sans ajouter un mot et s’enfonça dans la foule déchaînée.
Le lendemain, le tribunal de l’ i nquisition siégea au château de Gottlieben situé très loin en dehors de la ville, sous la présidence du cardinal italien Zabarella. Hus y avait été amené dans la nuit. Zabarella, un homme grand et maigre, au regard sombre, réputé pour être un éminent juriste de l’ é glise, avait été choisi pour diriger les interrogatoires.
La procédure était extrêmement délicate car, d’un côté, le pape Jean avait excommunié Hus et, de l’autre, le roi Sigismond lui avait fourni un sauf-conduit garantissant sa liberté. Or le roi et le pape se trouvaient tous deux à Constance. Deux partis allaient s’affronter, celui des partisans de Hus, et celui des opposants réclamant le bûcher pour l’accusé.
Rien ne filtra des interrogatoires. Mais, chaque jour, de nouvelles rumeurs circulaient. On disait qu’Hus s’était enfui, puis qu’il aurait été ramené discrètement en ville. Quoi qu’il en soit, le procès commença le lendemain matin dans le réfectoire du couvent des franciscains situé à proximité des remparts de la ville.
Le cardinal d’Ailly, évêque de Cambrai, un homme d’une arrogance et d’une assurance inégalable, dirigea le procès. Le réfectoire du couvent étant trop petit pour accueillir tous les délégués, les cardinaux et les juristes voulant y assister, il y eut quelques échauffourées à l’entrée qui se poursuivirent dans la rue.
Un soir, Afra croisa dans la maison Pfefferhart l’ambassadeur extraordinaire du roi de Naples, Pietro de Tortosa qu’elle n’avait pas revu depuis plusieurs jours. Il était ivre mort ce qui ne lui ressemblait pas. Il ne pouvait plus ni se tenir ni parler en montant l’escalier.
Afra s’enquit de sa santé.
— ç a va, ça va. Mais, ce procès me reste sur l’estomac.
— Vous parlez du procès de Hus ?
— Oui, précisément de celui-là.
— Comment cela va-t-il se terminer pour lui ?
L’envoyé eut un geste éloquent de la main :
— C’est cousu de fil blanc. Pourtant, ses propos sont sensés et intelligents. Mais l’ é glise a toujours considéré les gens intelligents comme des ennemis potentiels.
— Vous pensez qu’il sera condamné ?
— La condamnation est déjà rédigée. Je le sais de source sûre. Demain, le verdict sera proclamé dans la cathédrale et, après-demain, la sentence sera exécutée sur cette place qui porte bien son nom : la place du p aradis.
Afra se cacha le visage dans les mains. Elle resta un instant frappée de stupeur sans arriver à concevoir la moindre idée. Hus allait être brûlé sur le bûcher. Elle sentit son estomac se tordre.
Soudain, elle eut un sursaut d’énergie. Elle gagna sa chambre, passa une robe sombre et partit en courant comme une folle. La nuit était déjà bien avancée mais les rues de Constance étaient aussi animées qu’en plein jour. Les oiseaux de nuits parés de rouge et de violet cherchaient l’aventure d’un soir à la lueur d’une lanterne. Sous les porches, où les prostituées vendaient leurs charmes, les mitres et les étoles de prélats fleurissaient, suspendues comme autant de trophées attestant de la bonne fréquentation des lieux.
Des odeurs de poissons grillés et de moutons rôtis s’échappaient des tavernes et des estaminets.
À chaque coin de rue, des Maures ou des musiciens originaires de pays lointains jouaient des airs inconnus sur des instruments qui l’étaient tout autant.
Des femmes très sommairement vêtues, à peine sorties de l’enfance, dansaient avec une lascivité et une souplesse rappelant celle de la branche du saule qui ploie sous le vent.
Afra passa sans rien remarquer. Elle n’avait qu’une idée en tête qui s’était emparée d’elle en balayant toutes les autres : sauver Hus du bûcher.
C’est dans un état de semi-conscience qu’elle se dirigea vers la place de la cathédrale où les curieux se pressaient en quête de nouvelles du procès.
Le palais épiscopal, où résidait le pape Jean pendant le concile, était illuminé par des centaines de flambeaux. L’imposant édifice était gardé par deux douzaines de gardes suisses dans leurs uniformes à rayures jaunes, rouges et bleues, brandissant des hallebardes étincelantes dès que quiconque tentait de s’en approcher.
La jeune
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