Les Conjurés De Pierre
panique.
Il suffisait de quelques minutes maintenant pour que le feu envahisse tout le scriptorium. Alors, elle s’empara précipitamment des livres et des rouleaux portant la mention SECRETUM qu’il lui sembla devoir sauver du feu.
Elle redescendait lorsqu’elle entendit des cris affolés dans la cage d’escalier. Des nonnes portant des seaux de cuir remplis d’eau montaient et l’écartèrent sur leur passage.
Quand Afra arriva dans la cour en état de choc, elle tomba nez à nez avec la supérieure qui agitait dans sa main une torche de résine à l’odeur épouvantable.
— Suppôt de Satan ! lui lança l’abbesse en l’apercevant. Putain du diable.
Afra resta comme pétrifiée sans comprendre pourquoi l’abbesse l’injuriait ainsi :
— Je suis allée chercher le parchemin comme vous l’aviez demandé, et en entrant dans le scriptorium, j’ai vu de la fumée, dit-elle désemparée.
Les nonnes avaient formé une chaîne traversant la cour jusqu’au point d’eau.
Les seaux passaient de mains en mains. Quelques instants plus tard, l’alarme d’incendie retentit.
— Que fais-tu là avec ces précieux documents dans les mains ? demanda l’abbesse en faisant un pas vers elle.
— Je voulais les sauver du feu, rétorqua la jeune fille en tremblant.
L’abbesse partit d’un éclat de rire haineux :
— Ces parchemins-là, précisément ? Comment savais-tu qu’ils se trouvaient là ? C’est le diable qui t’a envoyée ici ?
— Le diable ? Révérende mère, ne dites pas ça ! Quand j’ai vu la mention SECRETUM, je me suis dit que ces documents devaient avoir plus de valeur que les autres, qu’il fallait absolument que je les sauve du feu. Voilà pourquoi, je les ai emportés.
à cet instant précis, sœur Philippa passa devant elle, mais l’abbesse retenait Afra par le bras et lui tendit sa torche.
— Sœur Philippa, dites que c’est bien vous qui m’avez envoyée au scriptorium !
La nonne leva les yeux vers les fenêtres du scriptorium, puis elle regarda la jeune fille avec un visage de marbre :
— Par tous les saints, pour quelle raison t’aurais-je envoyée à une heure si tardive au scriptorium ? Je ne suis pas aussi vieille que sœur Mildred. Mes jambes me soutiennent encore. Comment as-tu eu cette clef ?
— C’est vous-même qui me l’avez donnée !
— Moi ? fit-elle d’une voix fielleuse.
— Elle ment, s’écria Afra en colère, l’habit qu’elle porte ne la gêne même pas pour mentir !
L’abbesse avait suivi l’altercation sans sourciller. Elle arracha les rouleaux des mains d’Afra.
— Sœur Philippa ne ment pas, tiens-toi-le pour dit ! Elle a passé toute sa vie au service du Seigneur et a respecté la règle de saint Benoît. Qui dois-je croire, à ton avis, elle ou toi ?
Afra écumait de rage. Elle comprenait petit à petit que Philippa l’avait attirée dans un piège.
— Ne lui aurais-tu pas plutôt dérobé la clef au réfectoire pour te rendre au scriptorium pendant la nuit ? Tu avais l’intention de voler ces précieux documents ? Et pour masquer ton crime, tu as mis le feu ?
— Voilà ce qu’il en est, voilà la vérité ! approuva fermement Philippa.
— Non, c’est faux ! Afra avait envie d’étrangler l’abbesse. Des larmes de rage et d’impuissance jaillirent de ses yeux. Alors elle se tourna vers Philippa et, dans un accès de désespoir, lui cria : c’est le diable qui gît sous votre robe ! Il vous dévorera et emportera vos restes.
Les deux religieuses se signèrent avec une telle rapidité qu’Afra redouta de voir leurs bras malingres et décharnés se briser.
— Saisissez-vous d’elle et conduisez-la au poenitarium ! ordonna l’abbesse. c ’est elle qui a mis le feu au scriptorium. Elle voulait s’emparer de nos documents secrets. Nous allons la mettre sous les barreaux en attendant sa comparution devant le prévôt. Elle sera punie de son crime.
Elle pointa son index sur deux nonnes trapues et leur fit signe d’emmener Afra. Les religieuses la poussèrent et la bousculèrent dans l’escalier menant à la salle voûtée dans les caves, celle-là même dans laquelle la nonne insubordonnée avait été fouettée. Le billot était toujours là, au milieu, dans un coin il y avait un grabat et, à côté, un seau de bois pour effectuer ses besoins ; le sol était en terre battue. Avant qu’Afra ait pu se repérer dans l’oubliette où il régnait une horrible
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