Les Conjurés De Pierre
odeur, la grille se referma et les nonnes repartirent avec leur lanterne.
C’était l’obscurité la plus complète, Afra avança à tâtons à quatre pattes jusqu’à la paillasse. Elle se recroquevilla en grelottant et éclata en sanglots. Elle savait ce qu’il lui arriverait si le prévôt la condamnait.
m ettre le feu était considéré comme un grave délit, aussi grave qu’un meurtre. Afra entendait de temps en temps des ordres retentir dans le lointain.
Elle ignorait si le scriptorium avait totalement brûlé ou si le feu de plancher avait été circonscrit. L’obscurité était tellement parfaite qu’elle en perdait toute notion du temps. Elle ne pouvait fermer l’œil tant elle était angoissée.
Le silence revint alors qu’elle passait encore d’un état de veille à celui de sommeil. Le jour devait être déjà levé depuis longtemps mais rien ne se produisait. Elle n’avait rien à boire, rien à manger.
Elles vont me laisser crever ici dans le noir, songea Afra, et, bientôt, elle envisagea le moyen de mettre définitivement fin à ses jours.
Combien de temps délira-t-elle ? Elle n’aurait su le dire. Désormais incapable d’avoir la moindre pensée lucide, elle s’en prenait à Dieu qui lui infligeait un destin si horrible alors qu’elle était innocente.
Jamais elle n’aurait pu croire que les murs d’une abbaye pouvaient abriter tant de corruption et de perfidie. Le prévôt instruisant son procès accorderait sûrement plus de crédit aux dires des nonnes qu’à ceux d’une pauvre servante en fuite.
Deux ou trois jours plus tard – Afra ne savait pas exactement combien de temps s’était écoulé –, elle eut l’impression d’entendre des pas dans l’escalier.
Elle crut avoir une hallucination lorsqu’elle vit les lueurs vacillantes d’une torche.
Puis elle entrevit à travers les barreaux un visage qui ne lui était pas inconnu. C’était Luitgard, la nonne avec laquelle elle avait bavardé le premier jour. Luitgard lui fit signe d’approcher de la grille et, posant son index sur les lèvres, lui chuchota :
— Parlons tout bas. Les murs ont des oreilles. Enfin surtout ici, à Sainte-Cécile.
Luitgard avait apporté du pain dans une corbeille et une petite cruche d’eau qu’elle glissa facilement entre les barreaux. Afra saisit la cruche, la porta avec empressement à ses lèvres et la but d’une traite.
Elle ne souvenait pas que l’eau avait un goût aussi délicieux. Puis elle coupa la galette de pain en petits morceaux qu’elle avala l’un après l’autre.
— Pourquoi fais-tu cela ? balbutia Afra tout bas. s i tu es prise sur le fait, tu seras châtiée toi aussi.
Luitgard haussa les épaules.
— Cela fait vingt ans que je vis derrière les murs de cette abbaye. Je sais exactement ce qui s’y passe. Tout ce qui se déroule ici ne fait pas honneur à Dieu.
Afra s’agrippa aux barreaux :
— Tu peux me croire, je suis innocente. L’abbesse m’accuse d’avoir mis le feu au scriptorium pour dissimuler le vol de je ne sais quels documents secrets. Elle a pris à témoin Philippa qui a menti effrontément. Elle nie m’avoir envoyée au scriptorium. C’était un piège, tu entends, on m’a tendu un piège.
Luitgard leva la main pour lui faire comprendre qu’elle devait parler plus bas. Puis elle lui susurra :
— Afra, je sais que tu dis la vérité. Tu n’as pas besoin de m’expliquer.
Afra resta interloquée.
— Comment ça ? Qu’est-ce que cela signifie ?
— Je viens de te dire que les murs de cette abbaye ont des oreilles.
Afra observa, méfiante, les murs de sa sombre geôle.
Luitgard opina de la tête en lui montrant le plafond. Afra aperçut alors les tuyaux de grès d’une dizaine de centimètres de diamètre sortant du plafond à plusieurs endroits.
— Toute l’abbaye, expliqua Luitgard tout bas, en jetant un regard inquiet au-dessus de sa tête, toute l’abbaye est équipée de ce système d’écoute qui permet de faire circuler les voix d’une pièce à l’autre, d’un étage à l’autre, et, le plus étrange, c’est qu’on a même parfois l’impression que les voix sont amplifiées.
— Un miracle de la nature ?
— Je ne peux en juger. Mais n’est-ce pas surprenant qu’un tel appareillage soit installé dans un lieu où l’on ne devrait pas entendre un seul bruit, puisque les nonnes ont fait vœu de silence. Quoi qu’il en soit, ce « miracle de la nature », comme tu le
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