Les conquérants de l'île verte
fille s’est engagée avec moi, et voilà ce qui te
gênait. Tout en nageant, je t’ai vu le prendre et le jeter au milieu des eaux.
Mais j’ai également vu ce saumon l’avaler. Alors je me suis saisi du
poisson ; je l’ai ramené sur le rivage en prenant grand soin de l’y
dissimuler. Tout à l’heure, avant le festin, j’ai envoyé quelqu’un le prendre
pour le remettre à ta fille. Et c’est elle qui, en faisant cuire le poisson, a
découvert l’anneau. Et c’est ainsi qu’il se trouve à présent devant toi. »
Ailill, affreusement gêné, regardait Maeve qui ne disait
mot, puis son regard se reportait sur Fraech, mais il demeurait incapable de
parler. « Roi Ailill, reprit Fraech, tous ceux qui se trouvent ici ont
entendu les paroles que tu as prononcées tout à l’heure. Tu as dit à ta fille
que si l’anneau était retrouvé, elle pourrait s’en aller avec n’importe qui,
même avec le garçon d’écurie, as-tu aussi précisé. – Tu sais bien, s’écria
Finnabair, que nul autre que toi n’aurait ma pensée ! – Hé bien, soupira
Ailill, je vois qu’il me faut me résoudre à te donner ma fille. Je n’exigerai
qu’une seule chose : jure de nous accompagner dans toute expédition
guerrière pour laquelle nous aurons besoin de ton aide. » [106]
Fraech demeura donc dans la forteresse de Cruachan et y
dormit avec la jeune fille. Le lendemain matin, il prit congé du roi et de la
reine de Connaught et, avec tous ses gens et Finnabair, regagna sa demeure.
Peu de temps après, à l’appel d’Ailill et de Maeve, il vint
les aider dans une expédition guerrière. Mais, lorsqu’il fut de retour, il
s’aperçut qu’on lui avait volé ses vaches, et que sa femme avait disparu. Sa
mère vint lui parler. « Il n’a pas été heureux, dit-elle, le voyage que tu
as entrepris. Il te causera bien des ennuis. Tes vaches ont été volées, et
Finnabair a été enlevée. Trois de tes vaches sont dans l’Écosse du nord, chez
les Pictes. Les autres, ainsi que ta femme, se trouvent dans les montagnes des
Alpes [107] .
– Je pars à leur recherche ! s’écria Fraech. – N’y va pas ! dit sa
mère. Tu risquerais ta vie. Je te donnerai d’autres vaches. – Mais que fais-tu
de Finnabair ? – Il est, en Irlande, d’autres femmes aussi belles et aussi
nobles qu’elle, et je me charge de t’en trouver une qui te convienne. – Tes
paroles ne serviront à rien, dit Fraech, car je partirai quand même à la recherche
de Finnabair et de mes vaches. »
Il quitta donc sa mère et, accompagné de trois neuvaines
d’hommes, d’un faucon et d’un chien en laisse, fit si bien qu’il parvint dans
la province d’Ulster. Là, il rencontra Conall Cernach [108] et se lia d’amitié avec lui. Aussi lui fit-il part de sa quête. « Ton
entreprise ne te profitera guère, dit Conall, car je vois sur toi beaucoup
d’ennuis et de tourments. – Viendrais-tu avec moi, si grand que soit le
péril ? demanda Fraech. – Je n’ai jamais rien refusé à quiconque s’est lié
d’amitié avec moi, répondit Conall. Je t’accompagnerai, où que tu
ailles. »
Ensemble, ils traversèrent donc la mer et le nord de l’île
de Bretagne, franchirent la mer de Wight, errèrent longtemps en Gaule et
parvinrent enfin dans les montagnes des Alpes. Une fois là, ils aperçurent une
jeune fille qui gardait des moutons.
« Allons lui parler, dit Conall, tandis que nos jeunes
gens resteront ici. Elle pourra sans doute nous renseigner sur ce pays. »
Ils allèrent donc parler à la jeune fille et en apprenant qu’ils venaient
d’Irlande, elle se mit à pleurer. « Pourquoi verses-tu des larmes ?
demanda Fraech. – Ma mère vient d’Irlande, comme vous, répondit-elle, mais elle
n’est pas ici de son plein gré, soyez-en certains. Vous voici dans un pays affreux
et terrible, peuplé de jeunes guerriers cruels et rusés qui vont de tous côtés
enlever des trésors, des vaches et des femmes. – Qu’ont-ils enlevé
dernièrement ? demanda Conall. – Ils ont pris la femme et les vaches de
Fraech, fils d’Idach, du Connaught en Irlande. La femme se trouve dans la
forteresse que vous voyez sur la hauteur, et ses vaches sont en train de paître
sur le versant de la montagne. – Que nous conseilles-tu de faire ? dit
Fraech. – Je pense, répondit la fille, que vous devriez aller trouver la femme
qui garde les vaches. Expliquez-lui pourquoi vous êtes ici. Elle vient
d’Irlande, et elle en sait
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