Les conquérants de l'île verte
une
branche de pommier avec des fleurs blanches qu’il n’était pas facile de
distinguer de la branche elle-même. Il l’emporta dans la forteresse. Quand les
Fils de Milé furent dans la salle pour le festin, on vit pénétrer une femme
vêtue d’un costume étranger. Elle s’avança vers Bran et se mit à chanter :
« Voici une branche du pommier d’Émain [111]
que je t’apporte, semblable aux autres :
elle a des rameaux d’argent blanc
et des sourcils de cristal avec des fleurs.
Elle vient d’une île lointaine
autour de laquelle brillent les chevaux de mer
dans leur course avec l’écume des vagues.
Quatre piliers supportent cette île,
ce sont quatre piliers de bronze
qui brillent à travers les siècles du monde,
en un lieu où jaillissent de nombreuses fleurs.
C’est une terre de bonté et de beauté
où pleuvent les cristaux et les pierres précieuses.
La mer jette la vague contre la terre
et y dépose les cheveux de cristal de sa crinière.
Inconnues sont ici la douleur et la traîtrise :
ni chagrin, ni deuil, ni mort,
ni maladie, ni faiblesse,
tel est le signe d’Émain.
Beauté d’une terre merveilleuse
dont tous les aspects sont aimables,
en un étrange pays
où la brume est incomparable… »
Une fois son chant terminé, l’inconnue s’éloigna, et
personne ne sut où elle était allée. Mais elle avait emporté la branche de
pommier, qui, d’elle-même, avait sauté des mains de Bran dans les siennes, sans
que Bran eût la force de l’en empêcher. Il fut très impressionné par ce qui
s’était passé, et les paroles qu’avait chantées la femme lui revenaient sans
cesse à l’esprit. Il ne put dormir de toute la nuit, et le matin, de bonne
heure, il alla trouver un druide réputé pour sa sagesse et qui résidait dans le
pays de Corcomroe [112] .
Ce druide se nommait Nuca. Bran lui demanda ce que
signifiaient le chant qu’il avait entendu et la présence de la femme
mystérieuse dans la grande maison de sa forteresse. « Ce n’est pas
difficile, répondit le druide. Cette femme venait d’Émain, c’est-à-dire de
l’île des Pommiers. Et, en te présentant une branche de pommier d’Émain, elle
t’a invité à aller la rejoindre là-bas. – Vraiment ? s’étonna le fils de
Fébal. Et où se trouve cette île dont tu me parles ? – Elle se trouve
quelque part sur le grand océan, vers l’endroit où le soleil s’enfonce dans les
flots. On n’en connaît pas le chemin et personne n’y peut aborder sans guide. –
Dans ce cas, que dois-je faire ? insista Bran. – Désires-tu vraiment
rejoindre cette femme dans l’île d’Émain ? – Assurément, répondit Bran,
car je ne retrouverai plus jamais le sommeil maintenant qu’elle m’a visité, si
je ne peux la revoir. »
Le druide se plongea dans une grande méditation, puis il
indiqua à Bran le jour où il pourrait commencer la construction d’un bateau, et
il précisa même le nombre de compagnons qu’il lui faudrait emmener avec lui, à
savoir seize hommes, pas un de plus, sous peine de grands ennuis. Enfin, il lui
précisa quel jour serait le plus favorable pour s’embarquer, et de quel port il
convenait de partir.
Bran revint donc chez lui et, au jour marqué par le druide
Nuca, il ordonna d’entreprendre la construction d’un bateau à trois coques.
Cela fait, il choisit entre ses familiers ceux qui pourraient l’accompagner
dans cette navigation hasardeuse et les rassembla. Parmi eux, se trouvaient un
certain German, que Bran aimait comme un frère, ainsi que Nechtân [113] ,
fils de Collbran, qui connaissait bien l’art de naviguer. Et il emmena cette
troupe au port de Cloghan [114] pour y achever les derniers préparatifs.
Ils embarquèrent au jour qu’avait déterminé le druide Nuca,
mais, à peine se furent-ils éloignés du rivage et eurent-ils hissé les voiles,
que les trois frères de lait de Bran arrivèrent sur la grève et, de là,
crièrent très fort pour attirer l’attention de celui-ci et le supplier de
revenir les prendre aussi. « Retournez chez vous ! leur cria Bran, je
ne peux prendre à bord plus d’hommes qu’il a été prévu ! – Dans ce cas,
répondirent-ils, nous allons nous jeter à l’eau, nous suivrons ton sillage sur
la mer, et nous finirons par nous noyer si tu ne nous acceptes pas à bord, sois-en
persuadé ! [115] »
Et, incontinent, ils se jetèrent dans la mer et nagèrent
vers le large. En les voyant si bien
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