Les conquérants de l'île verte
quittèrent Fraech à
la porte de la première cour et, après avoir pris congé de lui, rebroussèrent
chemin. Mais elles continuèrent si bien leur lamentation, tout en s’en allant,
que les gens qui se trouvaient dans la cour à ce moment-là devinrent fous. Et
c’est de cette histoire que provient la « Lamentation des Fées » bien
connue de tous les musiciens d’Irlande [104] .
Là-dessus, Fraech rentra dans la maison d’Ailill et de
Maeve. Toute l’assemblée se leva pour l’accueillir et lui souhaita la bienvenue
comme s’il était revenu d’un autre monde [105] . Le roi et la reine se
levèrent également et lui exprimèrent leurs regrets et leurs excuses pour ce qu’ils
lui avaient fait. Il les salua à son tour et fit la paix avec eux. Ensuite, on
se mit à festoyer.
Cependant, Fraech manda un jeune homme de sa troupe et lui
dit : « Va-t’en sur le bord du lac, à un endroit où je suis allé au
milieu des roseaux. J’y ai laissé un saumon. Porte-le à Finnabair, et prie-la
de le préparer et de le faire bien cuire. Dis-lui aussi que l’anneau se trouve
à l’intérieur. Je crois qu’il en sera beaucoup question ce soir. »
L’ivresse s’empara bientôt d’Ailill et de Maeve, et ils prirent
tous deux plaisir à écouter les chants et la musique. Alors, le roi demanda à
son intendant de lui faire apporter tous ses bijoux. On s’exécuta et on les
étala devant lui. « Quelles merveilles ! s’exclamèrent les convives.
Nous n’avons jamais vu pareilles richesses ! – Qu’on fasse venir
Finnabair ! » ordonna Ailill.
Quelques instants plus tard, vêtue d’une robe brodée d’or,
Finnabair se présenta devant son père et toute l’assemblée. « Ma fille,
lui dit le roi, où est l’anneau que ta mère t’a donné à garder l’an
dernier ? L’as-tu encore ? Dans ce cas, apporte-le-moi pour que ces
jeunes gens puissent en admirer la finesse. – Je ne sais ce qu’il est devenu,
répondit Finnabair. – Dans ce cas, répliqua Ailill, il faut que tu le cherches.
Si tu ne le retrouves pas, je te jure que ton âme s’en ira de ton corps !
– Cela n’est pas juste, protestèrent les jeunes gens. Tu as ici assez de
richesses pour que tu ne tiennes pas compte de cet anneau. – Il n’est pas
d’objet précieux que je ne sois prêt à donner pour ta fille, intervint Fraech,
car elle m’a apporté mon épée pour me permettre de me défendre. Elle m’a sauvé
la vie, et je lui en sais gré. – N’insiste pas, dit Ailill. Tu n’as point de
joyau qui puisse la sauver si elle ne m’apporte l’anneau que je lui demande. –
Puisqu’il en est ainsi, dit Finnabair, je vais aller le chercher. – Non
pas ! cria Ailill. Je sais très bien que si tu quittes cette salle, tu
t’enfuiras et ne reparaîtras jamais devant moi. Si tu penses te dérober si
facilement à ton sort, tu te trompes. Mais je consens que tu envoies quelqu’un
s’en occuper pour toi. »
Finnabair en chargea donc sa servante. « Je jure par le
dieu que jure ma tribu, reprit Finnabair, que, si cet anneau est retrouvé, je
ne resterai pas un instant de plus en ton pouvoir, dussé-je n’avoir plus dès
lors d’autre occupation que la débauche. – Si l’on retrouve l’anneau, s’écria
Ailill, je ne t’empêcherai même pas d’aller retrouver le garçon d’écurie. »
Au même moment, la servante revint, portant un plat dans ses
mains. Sur ce plat, tous virent que reposait un saumon bien préparé et bien
cuit, avec un assaisonnement au miel et aux épices. Et, sur le saumon, se
trouvait l’anneau d’or. Ailill et Maeve le considérèrent avec stupeur, puis ils
regardèrent Fraech. Celui-ci porta la main à sa ceinture. « Il me semble,
dit-il, que lorsque j’ai plongé dans le lac, à ta demande, j’avais laissé ma
ceinture sur le rivage. Dans la ceinture se trouvait ma bourse et, dans ma
bourse, cet anneau. Par ta vraie royauté, Ailill, dis-nous ce que tu as fait de
l’anneau. » Le roi parut fort embarrassé. « Je ne le cacherai pas,
finit-il par dire. Cet anneau m’appartenait, et je l’avais donné à Finnabair.
Mais je me suis aperçu qu’elle te l’avait remis. Voilà pourquoi, quand tu as
plongé dans le lac, je l’ai repris dans ta bourse et l’ai jeté au milieu des
eaux. Ce qui m’étonne, c’est de le voir ici devant moi. Sur ton honneur, ô
Fraech, explique-nous ce prodige. – Ce n’est pas difficile, répondit Fraech. En
me donnant cet anneau, ta
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