Les conquérants de l'île verte
tente des festins et
s’assemblèrent autour de Lug et de Nuada. On servit à Lug tant de bière
brillante et guérisseuse que, bientôt, il fut ivre et joyeux. Les assistants
lui jouèrent ensuite de leurs harpes et de leurs cornemuses, ainsi que de
divers instruments, si bien que le royal guerrier dodelina sous l’excès de
boisson et les délices de musique. Là-dessus, on apporta sa harpe à Craftiné.
Il en dévoila les neuf cordes et joua jusqu’à ce que le jeune guerrier fût
reposé, calme et profondément endormi. Alors, les nobles des tribus de Dana
s’empressèrent d’enchaîner le héros. Ils le lièrent étroitement aux piliers
bien plantés en terre, et ce sans qu’il pût seulement s’en apercevoir. Les
troupes se levèrent ensuite, toutes prêtes, pour livrer bataille autour du roi
suprême d’Irlande, Nuada au Bras d’Argent. Et seul Craftiné, le harpiste, resta
pour veiller sur Lug au Long Bras.
Le combat était engagé depuis longtemps et le tumulte était
grand lorsque Lug émergea du sommeil. « Qu’est-ce donc que cela, mon ami
Craftiné ? s’écria-t-il. D’où vient que je sois attaché à ces piliers et
que j’entende les cris de la bataille à l’extérieur de la tente ? – Je ne
sais, répondit Craftiné. Certes, j’entends les cris des Fomoré et les
incantations de Morrigane qui déverse sur eux les sortilèges dont elle a le
secret. J’entends aussi Goibniu qui frappe sur sa forge. Mais j’ignore ce qui
se passe à l’extérieur de cette tente. – Tu mens ! répliqua Lug au Long
Bras. Tu sais très bien que c’est le bruit d’une bataille que nous entendons.
Je t’en prie, Craftiné, dénoue mes liens, que j’aille sur le front guider les
troupes à la victoire. – Je n’ai ni la force, ni la bravoure nécessaires pour
desserrer tes liens, ô Lug, répondit Craftiné, car ce sont des mains de héros
et une force de guerrier qui t’ont attaché à ces piliers. »
Alors, Lug se secoua avec tant de force et d’énergie qu’il
renversa les lourds piliers que l’on avait fichés en terre et qu’il entraîna à
sa suite les lourdes chaînes bleues par la seule vigueur de ses bras. Il eut du
reste tôt fait de s’en dégager et se précipitant au-dehors, se mit à courir
vers le lieu où s’affrontaient les armées. Et le vacarme causé par sa course
fut si formidable que tous les combattants le regardèrent venir avec autant
d’effroi que d’étonnement. Les armées reculèrent de part et d’autre, tant son
aspect était impressionnant. Alors, Lug s’en fut vers les tribus de Dana et
s’arrêta devant Nuada au Bras d’Argent. « Ce n’est pas une bonne action
que tu as faite là, ô héros royal ! s’écria-t-il. Pensais-tu engager la
bataille et délivrer l’Irlande sans que je puisse y participer de mon plein
gré ? Vous vous êtes engagés dans cette lutte sans réfléchir et sans
prendre le temps de préparer vos assauts. Rentrez donc dans votre campement, et
attendez le signe que je vous donnerai au moment le plus favorable pour que la
race des Fomoré soit exterminée, et pour que la terre d’Irlande soit libérée de
ses oppresseurs. »
Les chefs et les guerriers des tribus de Dana retournèrent
donc à leur campement. Et la nuit se passa ainsi sans qu’il y eût la moindre
escarmouche entre les guerriers des Fomoré et ceux des tribus de Dana.
Cependant, Morrigane, fille d’Ernmas, s’était rendue au camp des Fomoré, et
elle avait pénétré dans la tente d’Indech, leur roi suprême. Et lorsqu’elle en
ressortit, elle tenait, dans ses mains rouges de sang, les rognons de la valeur
royale qu’elle montra fièrement aux Fomoré pour leur apprendre qu’ils n’avaient
plus de chef. Et, là-dessus, elle rentra au campement des tribus de Dana.
Le lendemain matin, Lug au Long Bras fit sortir les troupes
devant le camp et leur prodigua des encouragements. Il dit aux hommes qu’ils
devaient mener courageusement le combat, que mieux valait périr que de
continuer à subir l’esclavage et payer tribut comme on les y avait jusqu’alors
contraints. Puis, devant tous les chefs, les nobles et les guerriers, Lug ferma
l’un de ses yeux et, debout sur une seule jambe, chanta un chant tout en
faisant le tour des guerriers des tribus de Dana [72] .
Les armées lancèrent une immense clameur en allant au
combat. Elles se rencontrèrent au milieu de la plaine de Tured, et chacun se
mit à frapper ce qui lui faisait face, et nombre
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