Les conquérants de l'île verte
pas trompé, et mes
deux chiens druidiques ont eu tôt fait de te reconnaître. – C’est vrai, dit le
porc. J’étais un homme avant de prendre cette forme. Je suis Cian, fils de
Diancecht. Fais-moi grâce de la vie, je te prie, et je serai ton serviteur, en
particulier lors de la bataille contre les Fomoré. – Je jure par tous les
esprits de l’air, s’écria Brian, que si ton âme revenait sept fois dans ton
corps, je te l’en chasserais sept fois ! – Alors, dit Cian, accorde-moi
une faveur. – Je te l’accorde, répondit Brian. – Permets-moi de reprendre ma
forme humaine. – Bien volontiers, car il m’est parfois plus difficile de tuer
un cochon qu’un homme », dit Brian, fils de Tuirenn.
Cian reprit donc son apparence naturelle. « Je vous ai
bien trompés, dit-il, car si j’avais été tué sous la forme d’un porc, mon fils
n’aurait pu vous réclamer que le prix d’un porc. Mais, puisque vous voulez me
tuer sous ma forme naturelle, le prix de compensation sera celui d’un homme, et
il sera très élevé, à cause de mon rang, de mes actions et de mes mérites. Et
ce sont les armes avec lesquelles vous me tuerez qui raconteront ce meurtre à
mon fils [69] .
– Ce n’est donc pas avec nos épées que tu seras tué, dit Brian, mais avec des
pierres que nous ramasserons sur le sol. »
Et, là-dessus, les trois frères se mirent à le frapper
rudement, sauvagement, violemment, avec des pierres qu’ils ramassaient tout
autour, si bien que le corps du héros devint une masse informe et misérable.
Ils creusèrent alors une fosse et l’ensevelirent. Mais la terre n’accepta pas
ce meurtre et rejeta le corps à la surface. Les fils de Tuirenn l’ensevelirent
une seconde fois, mais la terre ne le reçut pas davantage. Et ils eurent beau
l’ensevelir six fois de suite, six fois de suite, la terre le rejeta. Ce n’est
qu’à la septième qu’elle le garda. Alors, les fils de Tuirenn quittèrent la
plaine de Murthemné et s’en allèrent vers la plaine de Tured où devait se
dérouler la grande bataille contre les Fomoré. [70]
Entre-temps, les tribus de Dana avaient établi leur camp sur
une colline qui dominait la plaine et d’où elles pouvaient surveiller les faits
et gestes des Fomoré. Et, chaque jour, le combat s’engageait entre eux. N’y
prenaient part ni roi ni nobles, mais seulement des guerriers ardents et
téméraires. Les Fomoré s’étonnaient fort des mésaventures que leur réservait la
bataille. Leurs armes, qu’il s’agît de leurs javelots ou leurs épées, se
détérioraient sans motif apparent, et ceux de leurs gens qu’on avait tués ne
revenaient pas le lendemain. En revanche, il en allait tout autrement parmi les
gens des tribus de Dana : leurs armes, quand d’aventure elles étaient
détériorées, se trouvaient refaites le lendemain, toujours intactes, et aussi
redoutables que meurtrières. En fait, le forgeron Goibniu ne cessait de
fabriquer des épées, des fers de lance et des javelots, et, pour chacune de ces
armes, trois coups suffisaient. Le charpentier Luchté fabriquait des hampes
également en trois coups : le troisième les polissait et les insérait dans
la douille de la lance ou du javelot. Quand les armes étaient posées à côté de
la forge, il lançait les anneaux sur les hampes, et il n’était point nécessaire
de les ajuster. Quant au bronzier Credné, il fabriquait des clous en trois
coups, lui aussi, sans avoir besoin non plus de les ajuster. Et ceux des guerriers
qui avaient été tués ou blessés au combat revenaient le lendemain occuper leur
poste. C’était grâce à Diancecht, qui, avec son fils Oirmiach et sa fille
Airmed, chantait un charme sur la Fontaine de Santé. Ils y baignaient les
hommes, blessés ou morts, et c’est vivants et pleins de santé qu’en
ressortaient ceux-ci. On appelle cette fontaine Lusmag, c’est-à-dire Plaine des
Herbes, parce que Diancecht y avait mis un brin de chaque herbe qui poussait en
Irlande. D’autres prétendent toutefois que ces plantes, au nombre de trois cent
soixante-cinq, étaient celles qui avaient poussé sur la tombe de Miach, fils de
Diancecht, que son père avait tué par jalousie, pour avoir si bien greffé le
bras d’argent du roi Nuada. Airmed, la fille de Diancecht, avait recueilli ces
herbes dans son manteau et les avait jetées dans la Fontaine de Santé. Mais
Diancecht, toujours par jalousie, avait alors si bien mélangé ces herbes que
plus personne ne
Weitere Kostenlose Bücher