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Les conquérants de l'île verte

Les conquérants de l'île verte

Titel: Les conquérants de l'île verte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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de se joindre à lui pour
le seconder, mais ils ne purent le rattraper et s’engagèrent vers le sud, alors
qu’il était parti vers le nord. Quant aux Fomoré, ils avaient trop d’avance et
Cian, désespérant de les rejoindre, se consola en se disant que, de toute
façon, il les retrouverait devant lui, lors de la bataille dans la plaine de
Tured, et prendrait sa revanche à ce moment-là. Aussi rebroussa-t-il chemin
dans l’intention de rentrer à Tara.
    Il traversait la plaine de Murthemné et n’y avait guère
progressé quand il aperçut trois jeunes gens armés, équipés, et qui venaient
vers lui. Il reconnut en eux, sur-le-champ, les trois fils de Tuirenn, dont les
noms étaient Brian, Iucharba et Iuchar.
    Or, depuis bien longtemps déjà, les gens de la famille de
Diancecht et ceux de la famille de Tuirenn se détestaient et se haïssaient même
mortellement. C’en était au point qu’on ne comptait plus les batailles qu’ils
s’étaient livrées, et que, quel que fût l’endroit où ils se rencontraient,
certains d’entre eux restaient toujours sur le terrain. Ils faisaient pourtant
partie, les uns comme les autres, des tribus de Dana et descendaient de Nemed.
Mais c’était ainsi, et les trois fils de Tuirenn avaient tous trois hérité de
la même haine farouche.
    Or, ayant aperçu et aussitôt reconnu Cian dans la plaine de
Murthemné, ils se dirent entre eux qu’ils tenaient là l’occasion rêvée de se
débarrasser d’un fils de Diancecht, puisqu’il était seul et sans défense contre
trois jeunes gens, braves et résolus. Ils se dirent aussi que si Cian perdait
la vie dans cette aventure, on en rejetterait la responsabilité sur les Fomoré.
Aussi décidèrent-ils de l’attaquer sans pitié.
    Cian avait très bien compris leurs intentions. Il se vit en
danger mortel et se murmura à lui-même : « Si mes deux frères étaient
ici, nous nous battrions tous trois farouchement et, sans peine, nous aurions
raison de ces trois-là. Mais je ne les ai pas à mes côtés, je suis seul. Aussi
n’ai-je mieux à faire que de m’enfuir. Ils ne perdront rien pour
attendre. » Se voyant alors entouré d’un grand troupeau de porcs, il
n’hésita plus et, se frappant lui-même d’une baguette druidique, il transforma
son aspect en celui d’un porc et se mit à fouiller le sol comme le faisaient
les autres porcs. « Voilà qui est étrange, dit Brian, fils de Tuirenn à
ses frères. Vous avez bien vu, comme moi, l’un des fils de Diancecht traverser
la plaine ? – Nous l’avons vu, effectivement, répondirent-ils, et nous
l’avons bien reconnu. – Il n’est pas possible qu’il ait disparu sans cause,
reprit Brian. Depuis le temps que j’observe plaines et vallées, j’ai appris à y
discerner ce qui est de ce qui n’est pas. Sur ma foi, je sais comment il a
disparu : il s’est frappé lui-même d’une baguette druidique en or et a
pris l’apparence d’un porc, parmi les porcs de ce troupeau. Et, en ce moment
même, sous nos yeux, il est en train de fouir la terre comme ses semblables. –
Voilà une chose qui n’est pas bonne pour nous, dirent les deux frères, car ce
troupeau appartient à quelqu’un des tribus de Dana, et nous ne pouvons les tuer
tous, on nous le reprocherait. D’ailleurs, même en admettant que nous le
faisions, le porc druidique nous échapperait, c’est certain. – Vous n’avez pas
grande intelligence, répondit Brian, et je vois que l’enseignement que vous
avez reçu quand nous étions dans les Îles du nord du Monde ne vous a pas servi.
Vous ne savez même pas distinguer une bête druidique d’une bête
naturelle. »
    Pendant qu’il achevait de prononcer ces paroles, Brian
toucha ses frères avec une baguette magique et druidique qu’il portait toujours
sur lui, et il leur donna la forme de deux chiens très minces, très agiles et
très rapides qui, donnant fortement de la voix, se précipitèrent sur le troupeau
et le dispersèrent. Puis, ils s’acharnèrent contre l’un des porcs, celui-là
même dont Cian avait pris l’aspect. Il s’était réfugié près d’un taillis de
coudrier, comptant y disparaître ; mais, en homme au fait des arts
magiques, Brian, devinant son intention, brandit sa lance et lui en traversa la
poitrine.
    « Pourquoi m’as-tu frappé de la sorte, cria le porc,
puisque tu savais qui j’étais et que je me trouvais sans défense ? – Voici
donc une voix humaine ! s’écria Brian. Je ne m’étais

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