Les contrebandiers de l'ombre
silence de stupéfaction, avant que Rhea, sa colère évanouie, s'écriât :
— Oh ! Je suis désolée, sir Morgan !
Cette triste nouvelle expliquait les changements intervenus dans l'humeur de l'aimable officier. Dante retrouva son calme.
— Comment est-ce arrivé ?
— Il a été assassiné. Son bateau a été attiré dans Dragon's Cove, répondit sir Morgan.
— Comment savez-vous cela ? demanda Dante. (Rhea avait tressailli en entendant le nom de cette plage.) Y a-t-il eu des survivants ?
— Non, mais mon frère n'a pas coulé avec son bateau. Il a réussi à gagner le rivage avec plusieurs membres de son équipage, et tous ont été tués à coups de coutelas. Il était sans armes, et probablement à moitié asphyxié, lorsqu'il a été agressé.
— Et vous me suspectez de ce meurtre ?
(Dante leva la main pour imposer le silence à sa femme et à Alastair.) Assez culotté de ma part, non ? Naufrager un cotre des douanes au pied des tours de Merdraco !
— C'est odieux ! hurla Rhea, hors d'elle. Dante n'aurait jamais fait une chose pareille !
— Si vous voulez bien m'excuser, intervint le lieutenant Handley, mais lord Jacobi fut bien accusé de meurtre, il y a des années ?
— Suspecté ! Mais jamais accusé, et certainement pas reconnu coupable ! s'écria Rhea. (Lady Bess ne put affronter le regard méprisant de la jeune marquise.) Je ne savais pas que les officiers du roi s'amusaient à colporter les ragots pour enquêter, lieutenant Handley. Et vous, sir Morgan, croyez-vous Dante capable de ce massacre ?
— N'importe qui est capable de meurtre, lady Rhea, s'il est poussé à bout ou acculé à cela.
— Quand tout cela s'est-il passé ? Votre frère devait être vivant quand nous sommes revenus en Angleterre avec vous. Dante était à Camareigh pendant l'hiver. Comment aurait-il pu diriger cette tuerie? demanda Rhea.
— Vous suspectez Dante d'être, en quelque sorte, le chef des Fils de Belial ? s'enquit lady Bess, incrédule. C'est assez fort. Comme le disait son épouse, il n'était même pas là. Enfin, c'est bien la dernière personne qui...
— Etre impliqué dans un meurtre ne signifie pas nécessairement se salir les mains, interrompit impatiemment sir Morgan. Depuis que je suis ici, j'ai la nette impression qu'il y a un cerveau qui commande les Fils de Belial. Je trouverai l'identité de ce chef et j'arrêterai les responsables de la mort de mon frère Benjamin. Et je considérerai comme complice quiconque ayant eu des renseignements sur cette affaire les aura tenus secrets. Je m'occuperai personnellement de ceux-là, qu'ils soient hommes ou femmes.
Lady Bess s'humecta les lèvres, ravie d'avoir été interrompue avec tant d'à-propos.
Jack Shelby serait ravi. La haine que nourrissait l'ancien régisseur pour le marquis de Jacobi était inconciliable avec une telle association. On ne pouvait guère imaginer un Shelby mettant à sac Merdraco, tout en allant prendre ses ordres chez Dante. Voir le bon capitaine sir Morgan Lloyd partir sur cette piste plairait certainement à Shelby et ses amis. Le petit marin n'était pas aussi malin qu'il voulait le faire croire, en pourchassant des ombres de la sorte !
— Je dois me retirer à présent, dit gauchement sir Morgan. Aucun doute à cela, nous nous rencontrerons bientôt, m'lord. (S'adressant ensuite à Rhea :) Veuillez m'excuser, m'lady...
Mais il ne put soutenir le regard incendiaire de la jeune femme. Un petit salut alentour, et il fit demi-tour, Handley à ses basques.
— Quel impudent personnage ! murmura lady Bess.
Les deux cavaliers disparurent au détour du chemin, derrière le rideau d'arbres.
—Comme il a changé ! constata Rhea, encore abasourdie par la scène à laquelle elle venait d'assister.
— Nous changeons tous, fit Dante avec philosophie.
—C'est avec regret mais nous devons rentrer. (C'était vraiment une affreuse journée, et lady Bess sentait poindre un début de migraine.) Dante, je...
Elle ne savait trop quoi dire, et Dante ne lui laissa pas le temps de chercher.
— Au revoir, Bess, dit-il d'une voix lasse.
Prenant Rhea par le bras, il rentra dans sa maison. Bess resta immobile sur son cheval, sans voix. Seule Anne répondit à l'adieu d'Alastair en rougissant comme une pivoine. Jamais Bess Seacombe ne s'était sentie aussi seule. „
Chapitre 26
Les rues de Marleigh descendaient de la colline vers la mer comme l'eau ruisselle dans la lande. Pressées les unes contre les autres le long des
Weitere Kostenlose Bücher