Les contrebandiers de l'ombre

pas l'avoir déjà rencontrée, ni ce jeune garçon. Votre fils ?
    Les narines de lady Bess s'arquèrent de ressentiment, mais elle finit par sourire avec fierté.
    — Oui. Ma fille, Anne, et mon fils, Charles. Les enfants, voici Dante Leighton, marquis de Jacobi.
    Approchant son cheval avec lenteur, Anne dévisagea avec une curiosité amusée cet homme qui aurait pu être son père et dont sa mère n'arrêtait pas de parler.
    — Bonjour, fit-elle.
    Elle commençait à comprendre pourquoi sa mère n'avait pas oublié Dante Leighton.

    — Très jolie fille, Anne. Tu me rappelles ta mère quand elle avait ton âge. Elle n'était pourtant pas aussi timide. N'est-ce pas, Bess ?
    Il se souvenait encore de leurs courses à cheval à travers la lande, les cheveux au vent.
    — Tu as bonne mémoire, Dante, non ? fit Bess en laissant tomber un regard de pitié vers Rhea. Dante et moi étions très proches, autrefois. Je ne crois pas qu'il vous ait dit que nous étions fiancés.
    Elle était certaine que Dante n'avait rien dit de son ancien amour à cette jeune femme. Pour jeter le trouble dans l'esprit de Rhea, voilà qu'elle soulevait un sujet qui aurait dû rester enterré.
    — Mais si, lady Bess, répondit Rhea d'un ton égal, avec un très léger sourire entendu. Dante m'a tout raconté de cette liaison avec vous.
    Les lèvres de Bess Seacombe se plissèrent de colère, puis de honte, en rencontrant le regard sans appel de son ancien amant.
    — Je vois... marmotta-t-elle, mortifiée.
    Quand ils découvriraient que l'orgueilleuse lady Bess n'était plus qu'une veuve poursuivie par ses créanciers, ils se tordraient probablement de rire tous les deux.
    Mais Bess Seacombe ignorait quel genre de femme était Rhea Claire Leighton. Voyant toutes ces vagues d'émotions parcourir en tous sens le visage de l'infortunée, Rhea déchiffra parfaitement l'angoisse que Bess pouvait éprouver dans cette situation. Elle ne savait pas qu'une telle arrogance cachait une profonde détresse financière, mais elle savait en revanche que Bess avait perdu Dante par sa propre faute, et par lâcheté aussi, et cela lui faisait pitié. La jeune femme fit donc un pas en avant.
    — Ce doit être un long chemin pour retourner chez vous. Nous serions honorés si vous et vos enfants vouliez bien accepter une tasse de thé. (Cette amicale proposition prit Dante et Alastair de court, tout autant qu'elle stupéfia lady Bess. Tous regardèrent la jeune marquise comme si elle avait perdu la tête.) Je regrette que cette maison n'offre pas tout le confort possible et soit même encore un peu sens dessus dessous. Nous avons dû donner un coup de main, comme vous pouvez le constater, mais le thé sera fort et chaud. Les petits pains de Hallie sont tout à fait délicieux, acheva Rhea avec un sourire d'une grande franchise.
    Le jeune Charles Seacombe manifesta tout à coup un intérêt qui lui avait manqué jusque-là.
    Lady Bess était prise au piège. Elle avait parfaitement compris le sens et 1’esprit de cette offre
    : la sincérité ne se cachait pas sur le visage de Rhea. Et tout ce qu'elle désirait était de pouvoir détester l'épouse de Dante, qui avait détruit ses espérances.
    La fierté de Bess Seacombe était probablement à l'origine de sa déchéance. Elle était sur le point de refuser, le menton haut, quand un trot de chevaux se fit entendre dans le chemin, et l'attention de tous fut captée par ces nouveaux visiteurs. Ceux-là semblaient venir avec une bonne raison.

    Chapitre 25

    Lady Bess et Anne Seacombe furent les seules à ne rien trouver de surprenant à cette intrusion. En revanche, Dante, Rhea et Alastair furent interloqués de reconnaître leur ami sir Morgan Lloyd, qu'ils croyaient en train de labourer la mer des Antilles. L'autre officier leur était tout à fait inconnu. L'uniforme rouge était une carte de visite amplement suffisante.
    Dante comprit d'instinct que cette visite n'était pas celle d'un ami.
    En échouant dans sa tentative pour capter le regard de Dante, Alastair Marlowe put comprendre que quelque chose se préparait, pour que l'attention de son ancien capitaine soit si tendue, et avec cette soudaineté. Mais Rhea ne vit rien d'extraordinaire à tout cela et s'engagea sans arrière-pensée dans une mauvaise direction. Elle se porta spontanément à la rencontre de son ami.

    — Sir Morgan ! Quelle merveilleuse surprise !
    Ni le lieutenant Handley ni lady Bess n'avaient pensé une seconde que lady Rhea et