Les contrebandiers de l'ombre

demandé pardon. (Dante rouvrit des yeux assombris par les réminiscences du passé, et Rhea eut l'impression de se trouver en face d'un étranger.) Elle voulait mon pardon. Mon Dieu ! Quelle ironie ! Les villageois de Marleigh assurent que son ombre apparaît encore, les jours de tempête, près des falaises de Merdraco. Certains affirment même qu'elle hante la grande salle du château et que sa voix résonne parfois, un appel sans réponse... Même le vicaire de Westlea Abbot, un bourg voisin, a prétendu un jour avoir aperçu un spectre au sommet d'une des tours de la forteresse ! Par une nuit sans lune, bien sûr... (Dante lança un regard cynique que Rhea connaissait trop bien.) Il cherche l'inspiration de ses sermons dans la bouteille, plus que dans le livre saint, l'abbé.
    Difficile d'admettre que sa parole soit d'évangile !
    — Mais comment sais-tu tout cela ? Je croyais que tu n'avais plus remis les pieds à Merdraco depuis quinze ans ?
    La curiosité de Rhea envers l'homme qu'elle aimait était insatiable. Dante sembla momentanément troublé par cette question, puis il grogna :
    — Ce n'est pas là l'important... Les bonnes gens pensent qu'il est sacrilège de se donner la mort et pensent que l'âme ne trouve jamais la paix éternelle et erre sans espoir, damnée pour toujours. Si cela est vrai, ma mère n'a pas fait une bonne affaire en échangeant un enfer pour un autre.
    — Dante, je suis vraiment désolée, fit Rhea avec compréhension. Je ne savais pas... Tu ne m'avais jamais parlé des jours qui ont précédé ton départ d'Angleterre. J'aimerais que tu me racontes, insista Rhea, sa fine main caressant la joue rugueuse du capitaine.
    Mais elle n'était pas préparée à la violence de sa réaction quand il 1 empoigna par l'avant-bras et la souleva de sa chaise pour la fixer droit dans les yeux, face à face. Il déclara avec une froideur extrême :
    — Tu ne dois pas connaître cette partie de ma vie. Je ne veux à aucun prix te voir atteinte par celle-ci, ni apprendre quelle sorte d'homme j'étais jadis. Je me demande parfois si, apprenant tout cela, tu garderais vraiment confiance en moi. Ou si, malgré tout ce que tu pourrais entendre, tu resterais. Vais-je te détruire comme tous ceux qui ont connu ma vie d'autrefois ?
    Continueras-tu à me croire ou à croire en moi ?
    Son regard erra sur les cheveux d'or.
    — Dante, tu sais que tu es mon amour pour toujours ! Je t'ai juré cela.
    Il relâcha son étreinte quand il comprit la douleur qu'il infligeait à Rhea. Lui tournant la paume vers sa bouche, il déposa un baiser au centre.
    — Pour toujours ? Si je pouvais y croire ! Mais j'ai bien peur que rien ne soit pour toujours.
    Tu tomberas peut-être de plus haut, voilà tout.
    Sans doute -était-il inconscient de la cruauté de ses paroles. Rhea détourna le visage. De telles phrases lui faisaient peur. Quel désespoir en émanait !
    — Je t'ai fait mal, n'est-ce pas ? Je ne le voulais pas, mais maintenant tu comprends mieux comment un mot malheureux peut facilement faire douter, et même détruire des sentiments que l'on croit inviolables. Ne laisse jamais quiconque te détourner de moi, te monter contre moi, Rhea. Promets-moi cela...
    — Je te promets.
    — Tu pourras avoir des doutes sur mon compte, un jour, mais ne doute jamais que je t aime.
    Tu viendras peut-être à entendre à quels scandales mon nom a été associé, mais viens me voir et laisse-moi t'expliquer. Donne-moi une chance de m'innocenter. Ou peut-être de confirmer, mais donne-moi cette chance, Rhea. Ne me quitte pas sans me laisser t'expliquer, demanda-t-il, presque implorant.
    — Jamais je ne te quitterai, Dante, répéta-t-elle. Elle venait de voir de Dante Leighton un côté que peu de gens connaissaient, et qui était tout ce qu'on voulait sauf arrogant.
    — Comme c'est facile de promettre cela à présent, mais plus tard ?
    Rhea lui caressa les cheveux et répondit avec une passion grandissante à son baiser. C'était toujours ainsi, pensa-t-elle quand elle sentit ses doigts glisser vers les dentelles de son corsage, elle ne pouvait rien lui refuser. Elle ne pouvait penser qu'à lui quand il la regardait, la touchait, lui faisait l'amour. Le reste du monde cessait d'exister quand ils étaient ensemble.

    Malheureusement, le reste du monde ne pouvait les laisser en paix. Un vacarme continu provenant de la porte s'insinua dans la conscience de Rhea. Avec regret, elle libéra ses lèvres de l'étreinte possessive