Les croisades vues par les arabes
pénétrèrent de force, ajoute Aboul-Fida, qui ne cherche nullement à masquer la vérité. La population reflua vers le port. Là, quelques-uns s'échappèrent sur des navires, mais la majorité des hommes furent massacrés, les femmes et les enfants capturés, et les musulmans amassèrent un immense butin.
Quand les envahisseurs ont fini de tuer et de saccager, la ville, sur ordre du sultan, est démolie et rasée sol.
A peu de distance de Tripoli, il y avait, en pleine mer, un petit îlot avec une église. Quand la cité fut prise, beaucoup de Franj s'y réfugièrent avec leurs familles. Mais les troupes musulmanes se jetèrent à la mer, traversèrent à la nage jusqu'à cet îlot, massacrèrent tous les hommes qui s'y étaient réfugiés et emportèrent les femmes et les enfants avec le butin. Après le carnage, je passai moi-même jusqu'à l'îlot avec une barque, mais je ne pus pas y rester tant la puanteur des cadavres y était forte.
Le jeune Ayyoubide, imbu de la grandeur et de la magnanimité de ses ancêtres, ne peut s'empêcher de se scandaliser de ces massacres inutiles. Mais il le sait, les temps ont changé.
Curieusement, l'expulsion des Franj se passe dans une atmosphère qui rappelle celle qui avait caractérisé leur arrivée, près de deux siècles plus tôt. Les massacres d'Antioche de 1268 semblent reproduire ceux de 1098, et l'acharnement sur Tripoli sera présenté, par les historiens arabes des siècles à venir, comme une riposte tardive à la destruction, en 1109, de la cité des Banou Ammar. Pourtant, c'est lors de la bataille d’Acre, la demière grande bataille des guerres franques, que la revanche va devenir réellement le thème majeur de la propagande mamelouk.
Au lendemain de sa victoire, Oalaoun est harcelé par ses officiers. Il est désormais clair, affirment-ils, qu'aucune cité franque ne peut tenir tête à l'armée mamelouk, qu'il faut attaquer sur-le-champ, sans attendre que l’Occident, alarmé par la chute de Tripoli, organise une nouvelle expédition en Syrie. Ne faudrait-il pas en finir une fois pour toutes avec ce qui reste du royaume franc? Mais Qalaoun refuse : il a signé une trêve et jamais il ne trahira son serment. Ne pourrait-il pas alors, insiste son entourage, demander aux docteurs de la loi de proclamer la nullité du traité avec Acre, procédé si souvent utilisé par les Franj dans le passé? Le sultan y répugne. Il rappelle à ses émirs qu'il a juré, dans le cadre de l'accord signé en 1283, de ne pas avoir recours à des consultations juridiques pour rompre la trêve. Non, confirme Oalaoun, il s’emparera de tous les territoires francs que le traité ne protège pas, mais rien de plus. Et il dépêche une ambassade à Acre pour réaffirmer au dernier des rois francs, Henry, « souverain de Chypre et de Jérusalem », qu'il respectera ses engagements. Mieux, il décide de renouveler cette fameuse trêve pour dix nouvelles années à partir de juillet 1289 et encourage les musulmans à profiter d’Acre pour leurs échanges commerciaux avec l’Occident. Dans les mois qui suivent, le port palestinien connaît, de fait, une intense activité. Par centaines, des marchands damascains viennent s'installer dans les nombreuses auberges proches des souks, effectuant de fructueuses transactions avec les commerçants vénitiens ou avec les riches Templiers, devenus les principaux banquiers de la Syrie. Par ailleurs, des milliers de paysans arabes, venus notamment de Galilée, affluent vers la métropole franque pour y écouler leurs récoltes. Cette prospérité profite à tous les Etats de la région, et en particulier aux mamelouks. Depuis de nombreuses années, les courants d'échanges avec l’Est ayant été perturbés par la présence mongole, le manque à gagner ne peut être compensé que par un développement du commerce méditerranéen.
Pour les plus réalistes des dirigeants francs, le nouveau rôle dévolu à leur capitale, celui d'un grand comptoir effectuant la liaison entre deux mondes, représente une chance inespérée de survie dans une région où ils n'ont plus aucune chance de jouer un rôle hégémonique. Toutefois, ce n'est pas l'opinion de tous. Certains espèrent encore susciter en Occident une mobilisation religieuse suffisante pour organiser de nouvelles expéditions militaires contre les musulmans. Au lendemain de la chute de Tripoli, le roi Henry a dépêché des messagers à Rome pour demander des renforts, tant et si
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