Les croisades vues par les arabes
Mais il se heurte aux Tatars. Si Houlagou n'est plus en mesure d'envahir la Syrie, il dispose encore en Perse de forces suffisantes pour empêcher le châtiment de ses alliés. Sagement, Baibars décide d'attendre une meilleure occasion.
Elle se présente en 1265, à la mort de Houlagou. Alors Baibars profite des divisions qui se manifestent chez les Mongols pour envahir d'abord la Galilée et réduire plusieurs places fortes avec la complicité d'une partie de la population chrétienne locale. Puis il se dirige brusquement vers le nord, pénètre sur le territoire de Hethoum, détruit une à une toutes les villes, et notamment sa capitale Sis, dont il tue une grande partie de la population et ramène plus de quarante mille captifs. Le royaume arménien ne s'en relèvera jamais. Au printemps de 1268, Baibars repart en campagne. Il commence par attaquer les environs d'Acre, s'empare du château de Beaufort, puis, entraînant son armée vers le nord, se présente le 1er mai sous les murs de Tripoli. Il y trouve le maître de la cité qui n'est autre que Bohémond, également prince d'Antioche. Ce dernier, qui n'ignore rien du ressentiment du sultan à son égard, se prépare à un long siège. Mais Baibars a d'autres projets. Quelques jours plus tard, il reprend son chemin vers le nord pour arriver devant Antioche 1e 14 mai. La plus grande des cités franques, qui avait tenu tête pendant cent soixante-dix ans à tous les souverains musulmans, ne résistera pas plus de quatre jours. Dès le 18 mai au soir, une brèche est ouverte dans 1a muraille, non loin de la citadelle; les troupes de Baibars se répandent dans les rues. Cette conquête ne ressemble guère à celles de Saladin. La population en est entièrement massacrée ou réduite en esclavage, la ville elle-même est totalement ravagée. De la prestigieuse métropole, il ne restera qu'une bourgade désolée, parsemée de ruines, que le temps ensevelira sous la verdure.
Bohémond n'apprend la chute de sa ville que par une lettre mémorable que lui envoie Baibars, en réalité rédigée par le chroniqueur officiel du sultan, l'Egyptien Ibn Abd-el-Zaher :
Au noble et valeureux chevalier Bohémond, prince devenu simple comte grâce à la prise d'Antioche.
Le sarcasme ne s'arrête pas là :
Quand nous t'avons quitté à Tripoli, nous nous sommes dirigés tout de suite vers Antioche, où nous sommes arrivés au premier jour du mois vénéré du ramadan. A l'heure même de notre arrivée, tes troupes sont sorties pour nous offrir le combat, mais elles furent vaincues, car, si elles se prêtaient appui mutuellement, l'appui de Dieu leur manquait. Que n'as-tu vu tes chevaliers à terre sous les pieds des chevaux, tes palais soumis au pillage, tes dames que l'on vendait dans les quartiers de la ville et que l'on achetait pour un dinar seulement, pris, d'ailleurs, de ton propre argent!
Après une longue description, où aucun détail n'est épargné au destinataire du message, le sultan conclut, arrivant au fait :
Cette lettre te réjouira en t'annonçant que Dieu t'a fait la grâce de te garder sain et sauf et de prolonger ta vie, puisque tu ne te trouvais pas à Antioche. Car, si tu y avais été, tu serais maintenant mort, blessé ou prisonnier. Mais peut-être Dieu ne t’a-t-il épargné que pour que tu te soumettes et fasses acte d'obéissance.
En homme raisonnable, et surtout impuissant, Bohémond répond en proposant une trêve. Baibars l'accepte. Il sait que le comte, terrorisé, ne représente plus aucun danger, pas plus que Hethoum dont le royaume a pratiquement été rayé de la carte. Quant aux Franj de Palestine ils ne sont, eux aussi, que trop contents d'obtenir un répit. Le sultan leur envoie à Acre son chroniqueur Ibn Abd-el-Zaher pour sceller l'accord.
Leur roi cherchait à tergiverser pour obtenir les meilleures conditions, mais je me montrai inflexible, conformément aux directives du sultan. Irrité, le roi des Franj demanda à l'interprète : « Dis-lui de regarder derrière lui! » Je me retournai et vis toute l'armée des Franj en formation de combat. L'interprète ajouta : « Le roi te dit de ne pas oublier l'existence de cette multitude de soldats. » Comme je ne répondais pas, le roi insista auprès de l'interprète. Je demandai alors : « Puis-je avoir l'assurance de conserver la vie sauve si je dis ce que je pense? - Oui. - Eh bien, dites au roi qu'il y a moins de soldats dans son armée que de captifs francs dans les prisons du
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