Les croisades vues par les arabes
armée n'est guère impressionnante. Quelques centaines de chevaliers qui avancent pesamment, ployant sous des armures brûlantes, et, derrière eux, une foule bigarrée qui compte plus de femmes et d'enfants que de vrais combattants. Dès que la première vague des cavaliers turcs est lancée, les Franj lâchent pied. Ce n'est pas une bataille, mais une boucherie, qui se poursuit une journée entière. A la nuit tombée, Saint-Gilles s'enfuit avec ses proches sans même avertir le gros de l'armée. Le lendemain, les derniers survivants sont achevés. Des milliers de jeunes femmes sont capturées qui iront peupler les harems d’Asie.
A peine le massacre de Merzifun est-il terminé que des messagers viennent alerter Kilij Arslan : une nouvelle expédition franque avance déjà à travers l'Asie Mineure. Cette fois, l'itinéraire ne recèle aucune surprise. Les guerriers à la croix se sont engagés sur la route du sud, et c'est après plusieurs jours de marche qu'ils se rendent compte que leur chemin est piégé. Quand, fin août, le sultan arrive du nord-est avec ses cavaliers, les Franj, torturés par la soif, agonisent déjà. Ils sont décimés sans aucune résistance.
Ce n'est pas fini. Une troisième expédition franque suit la seconde, sur la même route, à une semaine d'intervalle. Chevaliers, fantassins, femmes et enfants arrivent, complètement déshydratés, près de la ville d'Héraclée. Déjà, ils aperçoivent le scintillement d'une rivière, vers laquelle ils se précipitent tous, dans le désordre. Mais c'est précisément au bord de ce cours d'eau que Kilij Arslan les attend...
Jamais les Franj ne se remettront de ce triple massacre. Avec la volonté d'expansion qui les anime en ces années décisives, l'apport d'un aussi grand nombre de nouveaux arrivants, combattants ou pas, leur aurait sans doute permis de coloniser l'ensemble de l'Orient arabe avant qu'il n'ait eu le temps de se ressaisir. Et pourtant, c'est bien cette pénurie d'hommes qui sera à l'origine de l'œuvre la plus durable et la plus spectaculaire des Franj en terre arabe : la construction des châteaux forts. Car c'est pour pallier la faiblesse de leurs effectifs qu'ils devront bâtir des forteresses, si bien protégées qu'une poignée de défenseurs pourra tenir en échec une multitude d'assiégeants. Mais, pour surmonter le handicap du nombre, les Franj vont disposer, pendant de longues années, d'une arme encore plus redoutable que leurs forteresses : la torpeur du monde arabe. Rien n’illustre mieux cet état de choses que la description que fera Ibn al-Athir de l'extraordinaire bataille qui se déroule devant Tripoli au début d'avril 1102.
Saint-Gilles, que Dieu le maudisse, revint en Syrie après avoir été écrasé par Kilij Arslan. Il ne disposait plus que de trois cents hommes. Alors Fakhr el-Moulk, seigneur de Tripoli, envoya dire au roi Doukak et au gouverneur de Homs : « C'est le moment ou jamais d'en finir avec Saint-Gilles, puisqu'il a si peu de troupes! » -Doukak dépêcha deux mille hommes, et le gouverneur de Homs vint en personne. Les troupes de Tripoli les rejoignirent devant les portes de la ville et ils offrirent ensemble la bataille à Saint-Gilles. Celui-ci lança cent de ses soldats contre les gens de Tripoli, cent contre ceux de Damas, cinquante contre ceux de Homs et en garda cinquante avec lui. A la seule vue de l'ennemi, les gens de Homs s'enfuirent, bientôt suivis par les Damascains. Seuls les Tripolitains firent front, ce que voyant, Saint-Gilles les attaqua avec ses deux cents autres soldats, les vainquit et en tua sept mille.
Trois cents Franj qui triomphent de plusieurs milliers de musulmans? Il semble bien que le récit de l'historien arabe soit conforme à la réalité. L'explication la plus probable, c'est que Doukak voulut faire payer au cadi de Tripoli l'attitude qu'il avait eue au moment de l'embuscade de Nahr-el-Kalb. La trahison de Fakhr el-Moulk avait empêché l'élimination du fondateur du royaume de Jérusalem; la revanche du roi de Damas va permettre la création d'un quatrième Etat franc : le comté de Tripoli.
Six semaines après cette défaite humiliante, on assiste à une nouvelle démonstration de l'incurie des dirigeants de la région qui, en dépit de l'avantage du nombre, s'avèrent incapables lorsqu'ils sont vainqueurs d'exploiter leur victoire.
La scène se passe en mai 1102. Une armée égyptienne de près de vingt mille hommes, commandée par Charaf, le
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