Les croisades vues par les arabes
une action d'éclat.
L'occasion se présente en octobre. Lorsque Godefroi fut tué , raconte Ibn al-Qalanissi, son frère le comte Baudouin, maître d'Edesse, se mit en route pour Jérusalem avec cinq cents chevaliers et fantassins. A la nouvelle de son passage, Doukak rassembla ses troupes et marcha contre lui. Il le rencontra près de la place côtière de Beyrouth. Baudouin cherche visiblement à prendre la succession de Godefroi. C'est un chevalier réputé pour sa brutalité et son absence de scrupules, comme l'assassinat de ses « parents adoptifs » à Edesse l'a démontré, mais c'est aussi un guerrier courageux et rusé dont la présence à Jérusalem constituerait une menace permanente pour Damas et l'ensemble de la Syrie musulmane. Le tuer ou le capturer en ce moment critique, c'est décapiter en fait l'armée d'invasion et remettre en cause la présence des Franj en Orient. Et si la date est bien choisie, le lieu de l'attaque ne l'est pas moins.
Arrivant du nord, le long de la côte méditerranéenne, Baudouin doit atteindre Beyrouth vers le 24 octobre. Auparavant, il lui faut traverser Nahr-el-Kalb, l'ancienne frontière fatimide. Près de l'embouchure du « Fleuve du chien », la route se rétrécit, s'entourant de falaises et de monts abrupts. Le lieu est idéal pour une embuscade. C'est précisément là que Doukak a décidé d'attendre les Franj, dissimulant ses hommes dans les grottes ou sur les pentes boisées. Régulièrement, ses éclaireurs l'informent de la progression de l'ennemi.
Depuis la plus lointaine antiquité, Nahr-el-Kalb est la hantise des conquérants. Quand l'un d'eux parvient à forcer le passage, il en est si fier qu'il fixe sur la falaise le récit de son exploit. A l'époque de Doukak, on peut déjà admirer plusieurs de ces vestiges, des hiéroglyphes du pharaon Ramsès Il et des cunéiformes du Babylonien Nabuchodonosor aux louanges latines que l'empereur romain d'origine syrienne, Septime Sévère, avait adressées à ses valeureux légionnaires gaulois. Mais, face à cette poignée de vainqueurs, que de guerriers ont vu leurs rêves brisés sur ces rochers sans laisser de traces! Pour le roi de Damas, il ne fait aucun doute que « le maudit Baudouin » va bientôt rejoindre cette cohorte de vaincus. Doukak a toutes raisons d'être optimiste. Ses troupes sont six ou sept fois plus nombreuses que celles du chef franc et, surtout, il bénéficie de l'effet de surprise. Il ne va pas seulement réparer l'affront qui lui a été infligé, il va reprendre sa place prépondérante parmi les princes de Syrie et exercer à nouveau une autorité que l'irruption des Franj a sapée.
S'il y a un homme à qui l'enjeu de la bataille n'a pas échappé, c'est le nouveau maître de Tripoli, le cadi Fakhr el-Moulk, qui a succédé un an plus tôt à son frère Jalal el-Moulk. Sa ville ayant été convoitée par le maître de Damas avant l'arrivée des Occidentaux, il ne manque pas de raisons de craindre la défaite de Baudouin, car Doukak voudra alors s’ériger en champion de l'islam et en libérateur de la terre syrienne, dont il faudra reconnaître la suzeraineté et subir les caprices.
Pour l'éviter, Fakhr el-Moulk ne s'embarrasse d'aucun scrupule. Quand il apprend que Baudouin s'approche de Tripoli en route pour Beyrouth puis Jérusalem, il lui fait envoyer du vin, du miel, du pain, de la viande, ainsi que de riches présents en or et en argent, et jusqu'à un messager qui insiste pour le voir en privé et le met au courant de l'embuscade tendue par Doukak, lui fournissant nombre de détails sur la disposition des troupes de Damas, lui prodiguant des conseils sur les meilleures tactiques à utiliser. Le chef franc, ayant remercié le cadi pour sa collaboration aussi précieuse qu'inattendue, reprend sa route vers Nahr-el-Kalb.
Ne se doutant de rien, Doukak s'apprête à fondre sur les Franj dès qu'ils se seront engagés dans l'étroite bande côtière que ses archers tiennent en joue. De fait, les Franj font leur apparition du côté de la localité de Jounieh et avancent en affichant une totale insouciance. Encore quelques pas et ils seront pris au piège. Mais soudain, les voilà qui s'immobilisent, puis, lentement, commencent à reculer. Rien n'est encore joué, mais voyant que l'ennemi n'a pas donné dans son piège Doukak perd tous ses moyens. Harcelé par ses émirs, il finit par ordonner à ses archers de lâcher quelques salves de flèches, sans oser pour autant
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