Les croisades vues par les arabes
lancer ses cavaliers contre les Franj. A la nuit tombée, le moral des troupes musulmanes est au plus bas. Arabes et Turcs s'accusent mutuellement de lâcheté. Quelques rixes éclatent. Le lendemain matin, après un court affrontement, les troupes de Damas refluent vers la montagne libanaise, tandis que les Franj poursuivent tranquillement leur route vers la Palestine.
Délibérément, le cadi de Tripoli a choisi de sauver Baudouin, jugeant que la principale menace contre sa ville vient de Doukak, qui lui-même avait agi ainsi à l'encontre de Karbouka deux ans plus tôt. Pour l'un comme pour l'autre, la présence franque est apparue, au moment décisif, comme un moindre mal. Mais le mal va se propager très vite. Trois semaines après l'embuscade ratée de Nahr-el-Kalb, Baudouin se proclame roi de Jérusalem et se lance dans une double entreprise d'organisation et de conquête afin de consolider les acquis de l'invasion. En tentant, près d'un siècle plus tard, de comprendre ce qui a poussé les Franj à venir en Orient, Ibn al-Athir attribuera l'initiative du mouvement au roi Baudouin, « al-Bardawil », qu'il considérait en quelque sorte comme le chef de l'Occident. Ce n'est pas faux, car si ce chevalier n'a été que l'un des nombreux responsables de l'invasion, l'historien de Mosf soul a raison de le désigner comme le principal artisan de l'occupation. Face au morcellement irrémédiable du monde arabe, les Etats francs vont apparaître d'emblée, par leur détermination, leurs qualités guerrières et leur relative solidarité, comme une véritable puissance régionale.
Les musulmans disposent toutefois d'un atout considérable : l'extrême faiblesse numérique de leurs ennemis. Au lendemain de la chute de Jérusalem, la plupart des Franj sont repartis vers leur pays. Baudouin ne peut compter, lors de son accession au trône, que sur quelques centaines de chevaliers. Mais cette faiblesse apparente disparaît lorsqu'on apprend, au printemps 1101, que de nouvelles armées franques, bien plus nombreuses que celles que l'on a connues jusqu'ici, se sont rassemblées à Constantinople.
Les premiers à s'alarmer sont évidemment Kilij Ars-lan et Danishmend, qui se souviennent encore du dernier passage des Franj en Asie Mineure. Sans hésiter, ils décident d'unifier leurs forces pour essayer de barrer la route à la nouvelle invasion. Les Turcs n'osent plus s'aventurer du côté de Nicée ou de Dorylée, désormais fermement tenues par les Roum. Ils préfèrent tenter une nouvelle embuscade beaucoup plus loin, au sud-est de l'Anatolie. Kilij Arslan, qui a gagné en âge et en expérience, fait empoisonner tous les points d'eau le long de la route empruntée par la précédente expédition.
En mai 1101, le sultan apprend que près de cent mille hommes ont franchi le Bosphore, commandés par Saint-Gilles, qui séjournait depuis un an à Byzance. Il essaie de suivre leurs mouvements pas à pas pour savoir à quel moment les surprendre. Leur première étape devrait être Nicée. Mais, curieusement, les éclaireurs postés près de l'ancienne capitale du sultan ne les voient pas venir. Du côté de la mer de Marmara, et même à Constantinople, on ne sait rien d'eux. Kilij Arslan ne retrouve leur trace que fin juin, lorsqu'ils font soudain irruption sous les-murs d'une ville qui lui appartient, Ankara, située au centre de l'Anatolie, en plein territoire turc et dont, a aucun moment, il n'a prévu l'attaque. Avant même qu'il ait eu le temps d'arriver, les Franj l'ont déjà prise. Kilij Arslan se croit revenu quatre ans en arrière, au moment de la chute de Nicée. Mais l'heure n'est pas aux lamentations, car les Occidentaux menacent désormais le cœur même de son domaine. Il décide de leur tendre une embuscade dès qu'ils sortiront d’Ankara pour reprendre leur route vers le sud. Mais, une fois de plus, c'est commettre une erreur : les envahisseurs, tournant le dos a la Syrie, marchent résolument vers le nord-est, en direction de Niksar, la puissante citadelle où Danishmend retient Bohémond. C'est donc cela! Les Franj cherchent à délivrer le maître d'Antioche!
Le sultan et son allié commencent seulement à comprendre, en y croyant à peine, le curieux itinéraire des envahisseurs. En un sens, ils sont rassurés, car maintenant ils peuvent choisir le lieu de l'embuscade. Ce sera le village de Merzifun que les Occidentaux atteindront aux premiers jours d'août, abrutis par un soleil de plomb. Leur
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