Les croisades vues par les arabes
d’Antioche et d'Edesse est engagée contre la place forte de Harran, qui domine la vaste plaine qui s'étend au bord de l'Euphrate et contrôle en fait les communications entre l'Irak et la Syrie du Nord.
La ville elle-même n'a pas grand intérêt. Ibn Jobair, qui la visitera quelques années après, la décrira en termes particulièrement décourageants.
A Harran, l'eau ne connaît jamais la fraîcheur, l'intense chaleur de sa fournaise brûle sans arrêt son territoire. Ce n'est point là qu'on trouve un coin d'ombre pour faire la sieste; on n'y respire que d'un souffle oppressé. Harran donne l'impression d'avoir été abandonnée dans la plaine nue. Elle n'a pas l'éclat d'une cité et ses abords ne sont ornés d'aucune parure d'élégance.
Mais sa valeur stratégique est considérable. Harran prise, les Franj pourraient avancer à l'avenir en direction de Mossoul et de Baghdad elle-même. Dans l'immédiat, sa chute condamnerait le royaume d'Alep à l'encerclement. Objectifs ambitieux, certes, mais les envahisseurs ne manquent pas d'audace. D'autant que les divisions du monde arabe encouragent leurs entre prises. La lutte sanglante entre les frères ennemis Barkyaruq et Mohammed ayant repris de plus belle, Baghdad passe à nouveau d'un sultan seldjoukide à l'autre. A Mossoul, l'atabek Karbouka vient de mourir et son successeur, l'émir turc Jekermich, n'arrive pas à s'imposer.
A Harran même, la situation est chaotique. Le gouverneur a été assassiné par l'un de ses officiers au cours d'une beuverie, et la ville est à feu et à sang. C'est à ce moment que les Franj marchèrent sur Harran, expliquera Ibn al-Äthir. Quand Jekermich, le nouveau maître de Mossoul, et son voisin Sokman, ancien gouverneur de Jérusalem, l'apprennent, ils sont en guerre l'un contre l'autre.
Sokman voulait venger un de ses neveux, tué par Jekermich, et ils se préparaient à s'affronter. Mais devant ce fait nouveau, ils s’invitèrent à unir leurs forces pour sauver la situation à Harran, chacun se disant prêt à offrir sa vie à Dieu et à ne chercher que la gloire du Très-Haut. Ils se réunirent, scellèrent leur alliance et. se mirent en marche contre les Franj, Sokman avec sept mille cavaliers turkmènes et Jekermich avec trois mille.
C'est au bord de la rivière Balikh, un affluent de l'Euphrate, que les deux alliés rencontrent l'ennemi en mai 1104. Les musulmans feignent de s'enfuir, laissant les Franj les poursuivre pendant plus d'une heure. Puis, sur un signal de leurs émirs, ils font volte-face, encerclent leurs poursuivants et les taillent en pièces.
Bohémond et Tancrède s'étaient détachés du gros des troupes et cachés derrière une colline pour prendre les musulmans à revers. Mais, quand ils virent que les leurs étaient vaincus, ils décidèrent de ne plus bouger. Ils attendirent donc la nuit et s'enfuirent, poursuivis par les musulmans qui tuèrent et capturèrent bon nombre de leurs compagnons. Eux-mêmes n'échappèrent qu'avec six cavaliers.
Parmi les chefs francs qui participent à la bataille de Harran, il y a Baudouin II, un cousin du roi de Jérusalem qui lui a succédé à la tête du comté d'Edesse. Lui aussi a tenté de s'enfuir, mais, en traversant le Balikh à gué, son cheval s'est enlisé dans la boue. Les soldats de Sokman le font prisonnier et le conduisent à la tente de leur maître, ce qui suscite, selon le récit d'Ibn al-Athir, la jalousie de leurs alliés.
Les hommes de Jekermich lui dirent : « De quoi aurons-nous l'air si les autres prennent tout le butin et que nous restons les mains vides? » Et ils le persuadèrent d'aller chercher le comte dans la tente de Sokman. Quand celui-ci revint. il en fut très affecté. Ses compagnons étaient déjà en selle, prêts à la bataille, mais il les retint en disant : « Il ne faut pas que la joie que suscitera notre victoire chez les musulmans soit gâchée par notre dispute. Je ne veux pas soulager ma colère en donnant satisfaction à l'ennemi aux dépens des musulmans. » Il rassembla alors toutes les armes et les banniëres prises aux Franj, habilla ses hommes avec leurs vêtements, les fit enfourcher leurs montures, puis se dirigea vers les forteresses tenues par les Franj. Chaque fois, ceux-ci, croyant voir revenir leurs compagnons victorieux, sortaient à leur rencontre. Sokman les massacrait et prenait la forteresse. Il répéta ce stratagème en plusieurs endroits.
Le retentissement de la victoire de Harran sera
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