Les croisades vues par les arabes
pesant plus de vingt livres. Mais le marin tripolitain ne désarme pas.
A l'aide de quelques poutres habilement installées, poursuit le chroniqueur de Damas, il fit monter des jarres pleines de saletés et d'immondices qu'on déversa sur les Franj. Etouffés par les odeurs qui se répandaient sur eux, ceux-ci n'arrivaient plus a manœuvrer leur bélier. Le marin prit alors des paniers à raisin et des couffins qu'il remplit d'huile, de bitume, de bois à brûler, de résine et d'écorce de roseau. Après y avoir mis le feu, il les balança au-dessus de la tour franque. Un incendie commença au sommet de celle-ci et, comme les Franj s'affairaient pour l'éteindre avec du vinaigre et de l'eau, le Tripolitain s'empressa de lancer d'autres paniers pleins d'huile bouillante pour aviver les flammes. Le feu embrasa tout le haut de la tour, gagna peu à peu tous les étages. se propageant dans le bois de l'ouvrage.
Incapables de venir à bout de l'incendie, les assaillants finissent par évacuer la tour et par s'enfuir. Ce dont les défenseurs profitent pour opérer une sortie et s'emparer d'une grande quantité d'armes abandonnées.
Voyant cela, conclut triomphalement Ibn aI-Oalanissi, les Franj perdirent courage et battirent en retraite après avoir mis le feu aux baraquements qu'ils avaient édifiés dans leur camp.
On est le 10 avril 1112. Au bout de cent trente-trois jours de siège, la population de Tyr vient d'infliger aux Franj une défaite retentissante.
Après les émeutes de Baghdad, l'insurrection d'Ascalon et la résistance de Tyr, un vent de révolte commence à souffler. On compte un nombre grandissant d'Arabes unissant dans la même haine les envahisseurs et la plupart des dirigeants musulmans, accusés d'incurie, voire de trahison. A Alep surtout, cette attitude dépasse rapidement le simple mouvement d'humeur. Sous la conduite du cadi Ibn al-Khachab, les citadins décident de prendre en main leur propre destinée. Ils choisiront eux-mêmes leurs dirigeants et leur imposeront la politique à suivre.
Certes, il y aura bien des défaites, bien des déceptions. L'expansion des Franj n'est pas terminée, et leur arrogance ne connaît pas de limite. Mais on va désormais assister, partie des rues d’Alep, à la lente naissance d'une lame de fond qui submergera peu à peu 1'Orient arabe et portera un jour au pouvoir des hommes justes, courageux, dévoués, capables de reconquérir le territoire perdu.
Avant d'en arriver là, Alep va traverser la période la plus erratique de sa longue histoire. Fin novembre 1113, Ibn al-Khachab apprend que Redwan est gravement malade dans son palais de la Citadelle; il rassemble ses amis et leur demande d'être prêts à intervenir. Le 10 décembre, le roi meurt. Dès que la nouvelle est connue, des groupes de miliciens armés se répandent dans les quartiers de la ville, occupent les principaux bâtiments et mettent la main sur de nombreux partisans de Redwan, notamment des adeptes de la secte des Assassins, immédiatement mis à mort pour intelligence avec l'ennemi franc.
Le but du cadi n'est pas de s'emparer lui-même du pouvoir mais d'impressionner le nouveau roi, Alp Arslan, fils de Redwan, pour qu'il adopte une politique différente de celle de son père. Les premiers jours, ce jeune homme de seize ans, si bègue qu'on le surnommait « le muet », semble approuver le militantisme d’Ibn al-Khachab. Il fait arrêter tous les collaborateurs de Redwan et leur fait couper la tête séance tenante, avec une joie non dissimulée. Le cadi s'inquiète. Il recommande au jeune monarque de ne pas plonger la ville dans un bain de sang mais simplement de punir les traîtres pour l'exemple. Alp Arslan ne veut rien entendre. Il exécute deux de ses propres frères, plusieurs militaires, un certain nombre de serviteurs et, en général, tous ceux dont la tête ne lui revient pas. Peu à peu, les citadins découvrent l'horrible vérité : le roi est fou! La meilleure source que nous ayons pour comprendre cette période est la chronique d'un écrivaindiplomate alépin, Kamaleddin, écrite un siècle après ces événements a partir de témoignages qu'avaient laissés les contemporains.
Un jour, raconte-t-il, Alp Arslan réunit un certain nombre d'émirs et de notables et leur fit visiter une espèce de souterrain creusé dans la Citadelle. Lorsqu'ils furent à l'intérieur, il leur demanda :
- Que diriez-vous si je vous faisais couper le cou à tous, ici même ?
- Nous sommes
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