Les croisades vues par les arabes
apprendre que l'armée de Jérusalem, commandée par le nouveau roi Baudouin II, vient d'arriver à Antioche.
Miné par l'alcool, Ilghazi s'éteindra trois ans plus tard sans avoir su exploiter son succès. Les Alépins lui sauront gré d'avoir écarté de leur ville le danger franc, mais ils ne seront en aucun cas affligés de sa disparition, car leurs regards se tournent déjà vers son successeur, un homme exceptionnel dont le nom est sur toutes les lèvres : Balak. Il est le propre neveu d'Ilghazi, mais c'est un homme d'une tout autre trempe. En quelques mois, il va devenir le héros adoré du monde arabe dont les exploits seront célébrés dans les mosquées et sur les places publiques.
En septembre 1122, Balak réussit, par un brillant coup de main, à s'emparer de Jocelin, qui a remplacé Baudouin II comme comte d'Edesse. Selon Ibn al-Athir, il l'enveloppa d'une peau de chameau, qu'il fit coudre, puis, refusant toutes les offres de rançon, il l'enferma dans une forteresse . Après la disparition de Roger d'Antioche, voilà donc un second Etat franc privé de son chef. Le roi de Jérusalem, inquiet, décide de venir lui-même dans le Nord. Des chevaliers d’Edesse l'emmènent visiter le lieu où Jocelin a été pris, une zone marécageuse au bord de l'Euphrate. Baudouin II fait un petit tour de reconnaissance, puis ordonne de dresser les tentes pour la nuit. Le lendemain, il se lève de bonne heure pour se livrer à son sport favori, emprunté aux princes orientaux, la chasse au faucon, quand, subitement, Balak et ses hommes, qui s'étaient approchés sans bruit, cernent le camp. Le roi de Jérusalem jette les armes. A son tour, il est emmené en captivité.
Auréolé du prestige de ces exploits, Balak fait en juin 1123 une entrée triomphale à Alep. Répétant le geste d'Ilghazi, il commence par épouser la fille de Redwan, puis entreprend, sans perdre un moment et sans subir un seul revers, la reconquête systématique des possessions franques autour de la ville. L’habileté militaire de cet émir turc de quarante ans, son esprit de décision, son refus de tout compromis avec les Franj, sa sobriété ainsi que son palmarès de victoires successives tranchent avec la médiocrité déconcertante des autres princes musulmans.
Une ville, en particulier, voit en lui son sauveur providentiel : Tyr, que les Franj assiègent à nouveau malgré la capture de leur roi. La situation des défenseurs s'avère beaucoup plus délicate qu’elle ne l'était lors de leur résistance victorieuse douze ans plus tôt, car les Occidentaux assurent cette fois le contrôle de la mer. Une imposante escadre vénitienne comptant plus de cent vingt vaisseaux est apparue en effet au printemps 1123 au large des côtes palestiniennes. Dès son arrivée, elle a réussi à surprendre la flotte égyptienne qui mouillait devant Ascalon et à la détruire. En février 1124, après avoir signé un accord avec Jérusalem sur le partage du butin, les Vénitiens ont commencé le blocus du port de Tyr pendant que l'armée franque installait son campement à l'est de la ville. Les perspectives ne sont donc pas bonnes pour les assiégés. Certes, les Tyriens se battent avec acharnement. Une nuit, par exemple, un groupe d'excellents nageurs se glisse jusqu'à un vaisseau vénitien qui est de garde à l'entrée du port et réussit à le tirer vers la ville où il est désarmé et détruit. Mais, en dépit de telles actions d'éclat, les chances de succès sont minces. La débâcle de la marine fatimide rend impossible tout secours par voie de mer. Par ailleurs, le ravitaillement en eau potable se révèle difficile. Tyr - c'est sa principale faiblesse - n'a pas de source à l'intérieur de ses murs. En temps de paix, l'eau douce arrive du dehors par une canalisation. En cas de guerre, la cité compte sur ses citernes et sur un approvisionnement intense par petites barques. La rigueur du blocus vénitien interdit ce recours. Si l'étau ne vient pas à se desserrer, la capitulation sera inévitable au bout de quelques mois.
N'attendant rien des Egyptiens, leurs protecteurs habituels, les défenseurs se tournent vers le héros du moment, Balak. L’émir assiège alors une forteresse de la région d'Alep, Manbij, où l'un de ses vassaux est entré en rébellion. Quand l'appel des Tyriens lui parvient, il décide immédiatement, raconte Kamaleddin, de confier à l'un de ses lieutenants la poursuite du siège et de se porter lui-même au secours
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