Les croisades vues par les arabes
racontera la scene :
Ilghazi fit jurer à ses émirs de combattre vaillamment, de tenir bon, de ne pas reculer et d'offrir leur vie pour le jihad. Puis les musulmans se déployèrent en petites vagues et vin- rent se poster, pour la nuit, à côté des troupes de sire Roger. Brusquement, au lever du jour, les Franj virent s'approcher les étendards des musulmans qui les entouraient de toutes parts. Le cadi Ibn al-Khachab s'avança, monté sur sa jument et la lance à la main. jl poussa les nôtres à la bataille. En le voyant, l'un des soldats s'écria d'un ton méprisant : « Sommes-nous venus de notre pays pour suivre un turban? » Mais le cadi marcha vers les troupes, parcourant leurs rangs et leur adressa, pour exciter leur énergie et animer leur moral, une harangue si éloquente que les hommes pleurèrent d'émotion et l'admirèrent grandement. Puis on chargea de tous les côtés à la fois. Les flèches volaient comme une nuée de sauterelles.
L'armée d'Antioche est décimée. Sire Roger lui même est retrouvé étendu parmi les cadavres, la tête fendue à, la hauteur du nez.
Le messager de la victoire atteignit Alep au moment où les musulmans, tous en rang, achevaient la prière de midi dans la grande mosquée. On entendit alors une grande clameur du côté de l'ouest, mais aucun combattant ne rentra en ville avant la prière de l'après-midi.
Pendant des jours, Alep célèbre sa victoire. On chante, on boit, on égorge des moutons, on se bouscule pour contempler les étendards croisés, les heaumes et les cottes de mailles ramenés par les troupes, ou pour voir décapiter un prisonnier pauvre - les riches étant échangés contre rançon. On écoute déclamer sur les places publiques des poèmes improvisés à la gloire d’Ilghazi : Après Dieu, c’est en toi que nous avons confiance. Les Alépins ont vécu depuis des années dans la terreur de Bohémond, de Tancrède, puis de Roger d’Antioche, beaucoup ont fini par attendre, comme une fatalité, le jour où, à l'instar de leurs frères de Tripoli, ils seraient forcés de choisir entre la mort et l'exil. Avec la victoire de Sarmada, voilà qu'ils se sentent renaître à la vie. Dans tout le monde arabe, l'exploit d’Ilghazi soulève l'enthousiasme. Jamais triomphe pareil n'avait été accordé à l'islam dans les années passées, s'écrie Ibn al-Qalanissi.
Ces propos excessifs trahissent l'extrême démoralisation qui régnait à la veille de la victoire d’Ilghazi. L'arrogance des Franj a en effet atteint les limites de l'absurde : début mars 1118, le roi Baudouin, avec exactement deux cent seize chevaliers et quatre cents fantassins, a entrepris d'envahir... l'Egypte! A la tête de ses maigres troupes, il a traversé le Sinaï, occupé sans résistance la ville de Farama, arrivant jusqu'aux rives du Nil, où il se baigne , précisera, moqueur, Ibn al-Alhir. Il serait allé plus loin encore s'il n'était tombé subitement malade. Rapatrié aussi vite que possible vers la Palestine, il mourra en chemin, à el-Arich, au nord-est du Sinaï. Malgré le décès de Baudouin, al-Afdal ne se remettra jamais de cette nouvelle humiliation. Perdant rapidement le contrôle de la situation, il sera assassiné trois ans plus tard dans une rue du Caire. Quant au roi des Franj, il sera remplacé par son cousin, Baudouin II d’Edesse.
Venant peu après ce raid spectaculaire à travers le Sinaï, la victoire de Sarmada apparaît comme une revanche et, pour quelques optimistes, comme le début de la reconquête. On s'attend à voir Ilghazi marcher sans délai sur Antioche, qui n'a plus ni prince ni armée. Les Franj se préparent d'ailleurs à soutenir un siège. Leur première décision est de désarmer les chrétiens syriens, arméniens et grecs résidant dans la ville et de leur interdire de quitter leurs maisons, car ils craignent de les voir s'allier aux Alépins. Les tensions sont en effet très vives entre les Occidentaux et leurs coreligionnaires orientaux qui les accusent de mépriser leurs rites et de les confiner dans des emplois subalternes dans leur propre cité. Mais les précautions des Franj s'avèrent inutiles. Ilghazi ne songe nullement à pousser son avantage. Vautré, ivre mort, il ne quitte plus l'ancienne résidence de Redwan où il n'en finit pas de célébrer sa victoire. A force d'ingurgiter des liqueurs fermentées, il est bientôt pris d'un violent accès de fièvre. Il ne sera guéri que vingt jours plus tard, juste à temps pour
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