Les croisades vues par les arabes
», un mot qui sera déformé en « Assassin », et qui deviendra bientôt, dans de nombreuses langues, un nom commun. L'hypothèse est plausible, mais, pour tout ce qui touche à la secte, il est difficile de distinguer réalité et légende. Hassan poussait-il les adeptes à se droguer afin de leur donner la sensation de se trouver pour un temps au paradis et les encourager ainsi au martyre? Essayait-il, plus prosaïquement, de les accoutumer à quelque narcotique pour les tenir constamment à sa merci? Leur fournissait-il simplement un euphorisant pour qu'ils ne faiblissent pas au moment de l'assassinat? Comptait-il plutôt sur leur foi aveugle? Quelle que soit la réponse, le seul fait d'évoquer ces hypothèses est un hommage rendu à l'organisateur exceptionnel qu'était Hassan.
Son succès est d'ailleurs foudroyant. Le premier meurtre, exécuté en 1092, deux ans après la fondation de la secte, est à lui seul une épopée. Les Seldjoukides sont alors à l'apogée de leur puissance. Or le pilier de leur empire, l'homme qui a organisé, pendant trente ans, en un véritable Etat le domaine conquis par les guerriers turcs, l'artisan de la renaissance du pouvoir sunnite et de la lutte contre le chiisme, est un vieux vizir dont le seul nom est évocateur de l'œuvre : Nizam el-Moulk, l’« Ordre du Royaume ». Le 14 octobre 1092, un adepte de Hassan le transperce d'un coup de poignard. Quand Nizam el-Moulk fut assassiné , dira Ibn al-Athir, l'Etat se désintégra . De fait, l'empire seldjoukide ne retrouvera plus jamais son unité. Son histoire ne sera plus ponctuée de‘ conquêtes mais d'interminables guerres de succession. Mission accomplie, aurait pu dire Hassan à ses camarades d'Egypte. Désormais, la voie est ouverte à une reconquête fatimide. A Nizar de jouer. Mais, au Caire, l'insurrection tourne court. Al-Afdal, qui hérite le vizirat de son père, en 1094, écrase impitoyablement les amis de Nizar, lui-même emmuré vivant.
Hassan se trouve, de ce fait, devant une situation imprévue. Il n'a pas renoncé à l'avènement d'un renouveau du califat chiite, mais il sait qu'il y faudra du temps. En conséquence, il modifie sa stratégie : tout en poursuivant son travail de sape contre l'islam officiel et ses représentants religieux et politiques, il s'efforce de trouver désormais un lieu d'implantation pour constituer un fief autonome. Or quelle contrée pourrait offrir de meilleures perspectives que la Syrie, morcelée en cette multitude d’Etats minuscules et rivaux? Il suf- firait à la secte de s'y introduire, de jouer une ville contre l'autre, un émir contre son frère, pour pouvoir survivre jusqu'au jour où le califat fatimide sortira de sa torpeur.
Hassan dépêche en Syrie un prédicateur perse, énigmatique « médecin-astrologue », qui s'installe à Alep et parvient à gagner la confiance de Redwan. Les adeptes commencent à affluer vers la ville, à prêcher leur doctrine, à constituer des cellules. Pour conserver l'amitié du roi seldjoukide, ils ne répugnent pas à lui rendre de menus services, notamment à assassiner un certain nombre de ses adversaires politiques. A la mort du « médecin-astrologue », en 1103, la secte délègue immédiatement auprès de Redwan un nouveau conseiller perse, Abou-Taher, l'orfèvre. Très vite, son influence devient plus écrasanté encore que celle de son prédécesseur. Redwan vit totalement sous son emprise et, selon Kamaleddin, aucun Alépin ne peut plus obtenir la moindre faveur du monarque ou régler un problème d'administration sans passer par l'un des innombrables sectateurs infiltrés dans l'entourage du roi.
Mais, en raison même de leur puissance, les Assassins sont détestés. Ibn al-Khachab, en particulier, réclame sans arrêt que l'on mette fin à leurs activités. Il leur reproche non seulement leur trafic d'influence, mais aussi et surtout la sympathie qu'ils manifestent à l'égard des envahisseurs occidentaux. Pour paradoxale qu'elle soit, cette accusation n'en est pas moins justifiée. A l'arrivée des Franj, les Assassins, qui commencent à peine à s'implanter en Syrie, sont appelés les « batinis », « ceux qui adhèrent à une croyance différente de celle qu'ils professent en public ». Une appellation qui laisse entendre que les adeptes ne sont musulmans qu'en apparence. Les chiites, tel Ibn al-Khachab, n'ont aucune sympathie pour les disciples de Hassan, en raison de sa rupture avec le califat fatimide qui demeure,
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