Les croisades vues par les arabes
même temps dans le pays convoité, chacun par sa route habituelle.
Chawer et les Franj ont rassemblé leurs forces alliées devant Le Caire pour y attendre Chirkouh. Mais celui-ci préfère fixer lui-même les modalités du rendez-vous. Poursuivant sa longue marche commencée à Alep, il contourne la capitale égyptienne par le sud, fait traverser le Nil à ses troupes sur de petites barques, puis remonte, sans s'être même arrêté, vers le nord. Chawer et Amaury qui s'attendaient à une apparition venant de l'est le voient surgir de la direction opposée. Pire, il s'est installé à l'ouest du Caire, près des pyramides de Guizèh, séparé de ses ennemis par le formidable obstacle naturel que constitue le fleuve. De ce camp solidement retranché, il envoie un message au vizir : L'ennemi franc est à notre portée , lui écrit-il, coupé de ses bases. Unissons nos forces et exterminons-le. L'occasion est favorable, elle ne se représentera peut-être plus . Mais Chawer ne se contente pas de refuser. Il fait exécuter le messager et porte la lettre de Chirkouh à Amaury pour lui prouver sa loyauté.
En dépit de ce geste, les Franj continuent à se méfier de leur allié, qui, ils le savent, dès qu'il n'aura plus besoin d'eux, les trahira. Ils jugent le temps venu de profiter de la proximité menaçante de Chirkouh pour asseoir leur autorité en Egypte : Amaury exige qu'une alliance officielle, scellée par le calife fatimide lui-même, soit conclue entre Le Caire et Jérusalem.
Deux cavaliers connaissant l'arabe - le cas n'était pas rare parmi les Franj d'Orient - se rendent ainsi à la résidence du jeune al-Adid. Chawer, qui tient visiblement à les impressionner, les conduit vers un superbe palais richement orné qu'ils traversent à vive allure, entourés d'une nuée de gardes armés. Puis le cortège franchit une interminable allée voûtée, imperméable à la lumière du jour, avant de se retrouver au seuil d'une immense porte ciselée qui mène à un vestibule, puis à une nouvelle porte. Après avoir parcouru de nombreu- ses salles ornementées, Chawer et ses invités débouchent sur une cour pavée de marbre et entourée de colonnades dorées, au centre de laquelle une fontaine laisse admirer ses tuyaux d'or et d'argent, tandis que tout autour volent des oiseaux de couleur venus de tous les coins d’Afrique. C'est à cet endroit que les gardes qui les accompagnent les confient aux eunuques qui vivent dans la familiarité du calife. A nouveau, il faut traverser une succession de salons, puis un jardin rempli de fauves apprivoisés, lions, ours, panthères, avant d'atteindre enfin le palais d'al-Adid.
Ils viennent à peine d'être introduits dans une vaste pièce, dont le mur du fond est fait d'une tenture de soie émaillée d'or, de rubis et d’émeraudes, que Chawer se prosterne trois fois et dépose son épée à terre. Alors seulement la tenture se soulève et le calife apparaît, le corps drapé de soieries et la face voilée. S'approchant et s'asseyant à ses pieds, le vizir expose le projet d'alliance avec les Franj. Après l'avoir écouté calmement, al-Adid, qui n'est alors âgé que de seize ans, rend hommage à la politique de Chawer. Celui-ci s'apprête déjà à se relever lorsque les deux Franj demandent au prince des croyants de jurer qu'il restera fidèle à l'alliance. Visiblement pareille exigence fait scandale parmi les dignitaires qui entourent al-Adid. Le calife lui-même semble choqué et le vizir se hâte d'intervenir. L'accord avec Jérusalem, explique-t-il à son souverain, est affaire de vie ou de mort pour l'Egypte. Il le conjure de ne pas voir dans la demande formulée par les Franj une manifestation d'irrespect mais seulement la marque de leur ignorance des coutumes orientales.
Souriant à contrecœur, al-Adid tend sa main gantée de soie et jure de respecter l'alliance. Mais l'un des émissaires francs l'arrête : « Un serment,» dit-il, doit être prêté main nue, le gant pourrait être signe d'une trahison à venir. » L'exigence fait à nouveau scandale. Les dignitaires chuchotent entre eux que le calife a été insulté, on parle de punir les insolents. Pourtant, sur une nouvelle intervention de Chawer, le calife, sans se départir de son calme, se dégante, tend sa main nue et répète mot à mot le serment que lui dictent les représentants de Morri.
Aussitôt conclue cette singulière entrevue, Egyptiens et Franj coalisés élaborent un plan
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