Les croisades vues par les arabes
colère, l'oncle de Saladin fait savoir à son ancien allié sa décision de rester quoi qu'il arrive.
Le voyant aussi résolu, Chawer, qui ne fait pas vraiment confiance à sa propre armée, envoie une ambassade à Jérusalem pour demander l'aide d'Amaury contre le corps expéditionnaire syrien. Le roi franc ne se fait pas prier. Lui qui cherchait un prétexte pour intervenir en Egypte, que pouvait-il espérer de mieux qu'un appel à l'aide venant du maître du Caire lui- même? Dès juillet 1164, l'armée franque s'engage dans le Sinaï pour la seconde fois. Aussitôt, Chirkouh décide de quitter les environs du Caire où il campait depuis mai, pour venir se retrancher dans Bilbeis. Là, semaine après semaine, il repousse les attaques de ses ennemis, mais sa situation paraît désespérée. Très éloigné de ses bases, encerclé par les Franj et leur nouvel allié Chawer, le général kurde ne peut espérer tenir longtemps.
Lorsque Noureddin vit comment la situation évoluait à Bilbeis, racontera Ibn al-Athir quelques années plus tard, il décida de lancer une grande offensive contre les Franj afin de les obliger à quitter I'Egypte. Il écrivit à tous les émirs musulmans pour leur demander de participer au jihad, et il alla attaquer la puissante forteresse de Harim, près d'Antioche. Tous les Franj qui étaient restés en Syrie se rassemblèrent pour lui faire face - parmi eux le prince Bohémond, seigneur d'Antioche, et le comte de Tripoli. Durant la bataille, les Franj furent écrasés. Ils eurent dix mille morts et tous leurs chefs, dont le prince et le comte, furent capturés.
Aussitôt la victoire acquise, Noureddin se fait apporter des étendards croisés ainsi que les chevelures blondes de quelques Franj exterminés au combat. Puis, plaçant le tout dans un sac, il le confie à l'un de ses hommes les plus avisés en lui disant : « Tu vas aller de ce pas à Bilbeis, tu farrangeras pour y pénétrer et tu remettras ces trophées à Chirkouh en lui annonçant que Dieu nous a accordé la victoire. Il les exposera sur les remparts et ce spectacle sèmera la frayeur parmi les infidèles. »
De fait, les nouvelles de la victoire de Harim bouleversent les données de la bataille d'Egypte. Elles rehaussent le moral des assiégés et surtout imposent aux Franj de rentrer en Palestine. La capture du jeune Bohémond III, successeur de Renaud à la tête de la principauté d'Antioche, chargé par Amaury de s'occuper en son absence des affaires du royaume de Jérusalem, ainsi que le massacre de ses hommes obligent le roi à chercher un compromis avec Chirkouh. Après quelques contacts, les deux hommes s'entendent pour quitter l'Egypte en même temps. Fin octobre 1164, Morri revient vers la Palestine en longeant la côte, tandis que le général kurde rentre à Damas en moins de deux semaines, empruntant l'itinéraire qu'il avait choisi à l'aller.
Chirkouh n'est pas mécontent d'avoir pu sortir de Bilbeis indemne et la tête haute, mais le grand vainqueur de ces six mois de campagne est incontestablement Chawer. Il a utilisé Chirkouh pour revenir au pouvoir, puis il s'est servi d'Amaury pour neutraliser le général kurde. Désormais ils se sont enfuis l'un et l'autre, lui laissant l'entière maîtrise de l'Egypte. Pendant plus de deux ans, il va s'employer à consolider son pouvoir.
Non sans inquiétude pourtant quant à la suite des événements. Car il sait que Chirkouh ne pourra lui pardonner sa trahison. Des informations lui parviennent d'ailleurs régulièrement de Syrie selon lesquelles le général kurde harcèlerait Noureddin pour entreprendre une nouvelle campagne d'Egypte. Mais le fils de Zinki est réticent. Le statu quo ne lui déplaît pas. L'important est de maintenir les Franj loin du Nil. Seulement, comme toujours, il n'est pas facile de sortir d'un engrenage : craignant une nouvelle expédition éclair de Chirkouh, Chawer prend ses précautions en concluant un traité d'assistance mutuelle avec Amaury. Ce qui conduit Noureddin à autoriser son lieutenant à mettre sur pied une nouvelle force d'intervention, au cas où les Franj interviendraient en Egypte. Chirkouh choisit pour son expédition les meilleurs éléments de l'armée, dont son neveu Youssef. A leur tour, ces préparatifs effraient le vizir, qui insiste auprès d’Amaury pour qu'il lui envoie des troupes. Et, aux premiers jours de 1167, la course vers le Nil reprend. Le roi franc et le général kurde arrivent presque en
Weitere Kostenlose Bücher