Les croisades vues par les arabes
machines de siège autour de leurs murs, car on est en septembre, et le fleuve commence sa crue. Il suffit donc aux autorités de faire rompre quelques digues pour que les guerriers d’Occident se voient peu à peu encerclés d'eau : ils n'ont que le temps de s'enfuir et de regagner la Palestine. Leur première invasion a toumé court, mais elle a au le mérite de révéler à Alep et à Damas les intentions d'Amaury.
Nouréddin hésite. S'il n'a aucune envie de se laisser entraîner vers le terrain glissant des intrigues cairotes, et cela d'autant plus que, sunnite fervent, il éprouve une méfiance non dissimulée à l'égard de tout ce qui concerne le califat chiite des Fatimides, il ne tient pas à ce que l'Egypte bascule, avec ses richesses, du côté des Franj, qui deviendraient alors la plus grande puissance de l’Orient. Or, vu l'anarchie qui y règne, Le Caire ne tiendra pas longtemps face à la détermination d'Amaury. Bien entendu, Chawer se fait un plaisir de vanter à son hôte les avantages d'une expédition au pays du Nil. Pour l'appâter, il promet, si on l'aide à se réinstaller au pouvoir, de payer tous les frais de l'expédition, de reconnaître la suzeraineté du maître d'Alep et de Damas, et de lui envoyer, chaque année, le tiers des recettes de l’Etat. Mais surtout, Noureddin doit compter avec son homme de confiance, Chirkouh lui-même, totalement acquis à l'idée d'une intervention armée. Il manifeste même à ce projet un tel enthousiasme que le fils de Zinki l'autorise à organiser un corps expéditionnaire.
On pourrait difficilement imaginer deux personnages à la fois aussi étroitement unis et aussi différents que le sont Noureddin et Chirkouh. Alors que le fils de Zinki est devenu, avec l'âge, de plus en plus majestueux, digne, sobre et réservé, l'oncle de Saladin est un officier de petite taille, obèse, borgne, le visage constamment congestionné par la boisson et les excès alimentaires. Quand il entre en colère, il hurle comme un forcené, et il lui arrive de perdre complètement la tête, allant jusqu'à tuer son adversaire. Mais son sale caractère ne déplaît pas à tous. Ses soldats adorent cet homme qui vit constamment parmi eux, partage leur soupe et leurs plaisanteries. Dans les nombreux combats auxquels il a pris part en Syrie, Chirkouh est apparu comme un meneur d'hommes doté d'un immense courage physique; la campagne d'Egypte va révéler ses remarquables qualités de stratège. Car, de bout en bout, l'entreprise sera une véritable gageure. Pour les Franj, il est relativement facile d'atteindre le pays du Nil. Un seul obstacle sur leur chemin : l'étendue semi-désertique du Sinaï. Mais en emportant, à dos de chameaux, quelques centaines d’outres remplies d'eau, les chevaliers se retrouvent en trois jours aux portes de Bilbeis. Pour Chirkouh, les choses sont moins simples. Pour aller de Syrie en Egypte, il faut traverser la Palestine, et s'exposer aux attaques des Franj.
Le départ du corps expéditionnaire syrien vers Le Caire, en avril 1164, implique donc une véritable mise en scène. Tandis que l'armée de Noureddin opère une diversion pour attirer Amaury et ses chevaliers au nord de la Palestine, Chirkouh, accompagné de Chawer et d'environ deux mille cavaliers, se dirige vers l'est, suit le cours du Jourdain sur sa rive orientale, à travers la future Jordanie, puis, au sud de la mer Morte, tourne vers l'ouest, franchit le fleuve et chevauche à vive allure en direction du Sinaï. Là, il poursuit sa course, s'éloignant de la route côtière pour éviter d'être repéré. Le 24 avril, il s'empare de Bilbeis. porte orientale de l'Egypte et, le 1er mai, il campe sous les murs du Caire. Pris au dépourvu, le vizir Dirgham n'a pas le temps d'organiser la résistance. Abandonné de tous, il est tué en tentant de s'enfuir et son corps est jeté aux chiens des rues. Chawerest officiellement réinvesti dans sa chargé par le calife fatimide al-Adid, un adolescent de treize ans.
La campagne éclair de Chirkouh représente un modèle d'efficacité militaire. L'oncle de Saladin n'est pas peu fier d'avoir conquis l'Egypte en si peu de temps, pratiquement sans pertes, et d'avoir ainsi damé le pion à Morri. Mais à peine a-t-il repris le pouvoir que Chawer opère une étonnante volte-face. Oubliant les promesses faites à Noureddin, il somme Chirkouh de quitter l'Egypte dans les plus brefs délais. Abasourdi par tant d’ingratitude et fou de
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