Les croisades vues par les arabes
ordres. J'eus beau lui exposer l'état de gêne où je me trouvais, il me fit remettre de l'argent et je dus partir comme un homme qu'on mène à la mort.
Cette fois, il n'y aura pas d'affrontement entre Chirkouh et Amaury. Impressionné par la détermination des Cairotes, prêts à détruire leur ville plutôt qu'à la lui livrer, et craignant d'être pris à revers par l'armée de Syrie, le roi franc rentre en Palestine le 2 janvier 1169. Six jours plus tard, le général kurde arrive au Caire pour y être accueilli comme un sauveur, aussi bien par la population que par les dignitaires fatimides. Chawer lui-même semble s'en réjouir. Mais personne ne s'y trompe. Bien qu'il se soit battu contre les Franj au cours des dernières semaines, on le considère comme leur ami et il doit payer. Dès le 18 janvier, il est attiré dans une embuscade, séquestré sous une tente, puis tué, des propres mains de Saladin, avec l'approbation écrite du calife. Ce même jour, Chirkouh le remplace au vizirat. Quand, vêtu de soie brodée, il se rend à la résidence de son prédécesseur pour s'y installer, il ne trouve même pas un coussin pour s'asseoir. Tout a été pillé dès l'annonce de la mort de Chawer.
Il a fallu trois campagnes au général kurde pour devenir le véritable maître de l'Egypte. Un bonheur qui lui est compté : le 23 mars, deux mois après son triomphe, et à la suite d'un repas trop copieux, il est victime d'un malaise, d'une atroce sensation d'étouffement. Il meurt quelques instants plus tard. C'est la fin d'une épopée, mais le début d'une autre, dont le retentissement sera infiniment plus grand.
A la mort de Chirkouh, racontera Ibn aI-Athir, les conseillers du calife al-Adid lui suggérèrent de choisir Youssef comme nouveau vizir parce qu'il était le plus jeune et semblait le plus inexpérimenté et le plus faible des émirs de l'armée.
De fait, Saladin est convoqué au palais du souverain où il reçoit le titre d'al-malik en-nasser, « le roi victorieux », ainsi que les parures distinctives des vizirs : un turban blanc broché d'or, une robe avec une tunique doublée d'écarlate, une épée incrustée de pierreries, une jument alezane avec une selle et une bride ornées d'or ciselé et de perles, et bien d'autres objets précieux. En sortant du palais, il se dirige en grand cortège vers la résidence vizirale.
En quelques semaines, Youssef parvient à s'imposer. Il élimine les fonctionnaires fatimides dont le loyalisme lui semble douteux, les remplace par ses proches, écrase sévèrement une révolte au sein des troupes égyptiennes, repousse enfin, en octobre 1169, une lamentable invasion franque, celle que mène Amaury, arrivé en Egypte pour la cinquième et dernière fois avec l'espoir de s'emparer du port de Damiette, dans le delta du Nil. Manuel Comnène, inquiet de voir un lieutenant de Noureddin à la tête de l'Etat fatimide a accordé aux Franj le soutien de la flotte byzantine. Mais en vain. Les Roum n'ont pas de provisions suffisantes, et leurs alliés refusent de leur en fournir. Au bout de quelques semaines, Saladin peut entamer des pourparlers avec eux et les persuader sans peine de mettre fin à une entreprise par trop mal engagée.
Il n'a donc pas fallu attendre la fin de 1169 pour que Youssef soit le maître incontesté de l’Egypte. A Jérusalem, Morri se promet de s'allier au neveu de Chirkouh contre le principal ennemi des Franj, Noureddin. Si l'optimisme du roi peut paraître excessif, il n'est pas sans fondement. Très tôt, en effet, Saladin commence à prendre quelques distances par rapport à son maître. Bien entendu, il l'assure continuellement de sa fidélité et de sa soumission, mais l'autorité effective sur l’Egypte ne peut s'exercer à partir de Damas ou d’Alep.
Les relations entre les deux hommes vont finir par prendre une réelle intensité dramatique. Malgré la solidité de son pouvoir au Caire, Youssef n’osera en effet jamais affronter directement son aîné. Et lorsque le fils de Zinki l’invitera à le rencontrer, il se dérobera toujours, non par peur de tomber dans un piège, mais par crainte de faiblir personnellement s'il se trouvait en présence de son maître.
La première crise grave éclate durant l'été 1171, lorsque Noureddin exige du jeune vizir qu'il abolisse le califat fatimide. En tant que musulman sunnite, le maître de la Syrie ne peut admettre que l'autorité spirituelle d'une dynastie « hérétique »
Weitere Kostenlose Bücher