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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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je répondis : " Par Dieu, si l'on me donnait tout le royaume d'Egypte, je n'irais pas!  » 
    L'homme qui parle ainsi n'est autre que Saladin racontant les débuts pour le moins timides de l'aventure qui fera de lui l'un des souverains les plus prestigieux de l'Histoire. Avec l’admirable sincérité qui caractérise tous ses propos, Youssef se garde bien de s'attribuer le mérite de l'épopée égyptienne. « J'ai fini par accompagner mon oncle, ajoute-t-il. Il a conquis l'Egypte, puis il est mort. Dieu m'a mis alors entre les mains un pouvoir que je n'attendais nullement. » De fait, si Saladin émerge bientôt comme le grand bénéficiaire de l'expédition égyptienne, il n'y jouera pas le rôle principal. Noureddin non plus d'ailleurs, même si le pays du Nil est conquis en son nom. 
    Cette campagne, qui dure de 1163 à 1169, aura pour protagonistes trois étonnants personnages : un vizir égyptien, Chawer, dont les intrigues démoniaques mettront la région à feu et à sang, un roi franc, Amaury, tellement obsédé par l'idée de conquérir l'Egypte qu'il envahira ce pays cinq fois en six ans, et un général kurde, Chirkouh, « le lion », qui s'imposera comme l'un des génies militaires de son temps.
    Lorsque Chawer s'empare du pouvoir au Caire en décembre 1162, il accède à une dignité et à une charge qui procurent honneurs et richesses, mais il n'ignore pas l'envers de la médaille : sur les quinze dirigeants qui l'ont précédé à la tête de l'Egypte, un seul s'en est sorti vivant. Tous les autres ont été, selon les cas, pendus, décapités, poignardés, crucifiés, empoisonnés ou lynchés par la foule; l'un a été tué par son fils adoptif, l'autre par son propre père. Tout cela pour dire qu'il ne faut pas chercher chez cet émir basané, aux tempes grisonnantes, les traces d'un quelconque scrupule. Dès son accession au pouvoir, il s'est hâté de massacrer son prédécesseur et toute sa famille, de s'approprier leur or, leurs bijoux et leurs palais. 
    La roue de la fortune n'en continue pas moins à tourner : après moins de neuf mois de gouvernement, le nouveau vizir est lui-même renversé par l'un de ses lieutenants, un certain Dirgham. Prévenu à temps, Chawer parvient à quitter l'Egypte sain et sauf et à se réfugier en Syrie, où il cherche à obtenir le soutien de Noureddin pour reprendre le pouvoir. Bien que son visiteur soit intelligent et beau parleur, le fils de Zinki ne lui prête, au début, qu'une oreille distraite. Mais très vite, les événements l'obligent à changer d'attitude. 
    Car, à Jérusalem, on observe de près, semble-t-il, les bouleversements dont le Caire est le théâtre. Depuis février 1162, les Franj ont un nouveau roi à l'ambition indomptable : « Morri », Amaury, deuxième fils de Foulque. Visiblement influencé par la propagande de Noureddin, ce monarque de vingt-six ans essaie de donner de lui-même l'image d'un homme sobre, pieux, porté sur les lectures religieuses et soucieux de justice. Mais la ressemblance n'est qu’apparente. Le roi franc a plus d'audace que de sagesse et, en dépit de sa grande taille et de sa chevelure abondante, il manque singulièrement de majesté. Les épaules anormalement étroites, pris souvent d'accès de rire si longs et si bruyants que son entourage en est embarrassé, il est en outre affligé d'un bégaiement qui ne facilite pas ses contacts avec les autres. Seule l'idée fixe qui l'anime - la conquête de l'Egypte - et sa poursuite inlassable donnent à Morri une envergure certaine. 
    La chose, il est vrai, paraît tentante. Depuis qu'en 1153 les chevaliers occidentaux se sont emparés d’Ascalon, dernier bastion fatimide en Palestine, la route du pays du Nil leur est ouverte. Les vizirs successifs, trop occupés à se battre contre leurs rivaux, ont pris d'ailleurs l'habitude, depuis 1160, de payer un tribut annuel aux Franj pour qu'ils s'abstiennent d'intervenir dans leurs affaires. Au lendemain de la chute de Chawer, Amaury a profité de la confusion qui règne au pays du Nil pour l'envahir, sous le simple prétexte que la somme convenue, soixante mille dinars, n'a pas été payée à temps. Traversant le Sinaï le long de la côte méditerranéenne, il est venu mettre le siège devaant la ville de Bilbeis, située sur une branche du fleuve - destinée à se dessécher au cours des siècles suivants. Les défenseurs de la cité sont à la fois stupéfaits et amusés de voir les Franj installer leurs

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